L'histoire du metal progressif est assez claire et bien foutue, c'est un fait. Quelques groupes ont écrit les lettres de noblesse du genre il y a maintenant un certain temps, tels que
Fates Warning ou Queensrÿche. D'autres ont ensuite pris la relève et sont rapidement devenus les ambassadeurs du metal progressif (est-il vraiment utile de citer des noms ?). Le cas de
Shadow Gallery reste pour moi (et beaucoup d'autres) une énigme. Les Américains sont présents sur la scène internationale depuis presque aussi longtemps que
Dream Theater, ont sorti plusieurs albums de très grande qualité, et sont très appréciés des connaisseurs. Cependant,
Shadow Gallery n'a jamais réussi à être populaire.
Les vertus de la popularité dans le monde musical sont douteuses, mais à propos de
Shadow Gallery, c'est comme si le groupe n'a jamais eu ce qu'il méritait amplement. Les Américains ne se sont pourtant jamais découragés, et ont toujours réussi à proposer des albums de qualité. Aucun de leurs albums n'est vraiment mauvais d'ailleurs. Il y a peut-être un lien entre ce manque de reconnaissance et la qualité de la musique, mais je ne suis pas assez bon philosophe et sociologue pour en être certain. Quoi qu'il en soit, c'est de
Tyranny que j'ai envie de parler aujourd'hui.
L'artwork n'est pas particulièrement beau, mais très évocateur. Avec ce visuel et la tracklist, on se doute que le sujet portera sur ce monde nouveau (New World Order), où la technologie est reine (
Mystery), et où se trament des conflits dus à l'argent-roi (
War for Sale). L'album est composé en 1998, en pleine période de ce qu'on appelle "l'impérialisme américain", peu après la première guerre du golfe. L'image sur le verso de l'album (d'un vert presque luisant) peut d'ailleurs rappeler les images que l'on a eues de cette guerre. On remarque enfin que le disque est divisé en deux actes, de sept chansons chacun, et que certaines sont sous-titrées d'un mois de l'année, l'opus se déroulant alors sur un an (entre janvier et le jour de Noël).
On rentre rapidement dans l'atmosphère de ce
Tyranny via une introduction nommée Stiletto in the
Sand - Jihad (encore une référence !). L'introduction n'a pas ici pour but de commencer l'opus en douceur, mais plutôt de nous plonger directement dans l'ambiance voulue, avec cette batterie démentielle dès les premières secondes, bientôt suivie par une basse galopante. On commence tout en puissance, car c'est maintenant au tour de la guitare jusqu'à la fin de cette intro, dévoilant un énorme solo, monstre de technicité (quelle vitesse !) mais aussi plein de feeling, avec ces mélodies bien entraînantes.
La première chanson,
War for Sale, illustre parfaitement l'ensemble de l'album, avec un metal progressif de haute volée, sur un tempo rapide, tandis que Mike Baker pose des lignes de chant somptueuses. Les Américains passent un message politique fort, avec une écriture fine et profondément engagée : "Big money left their morals far behind, Guess what we've got - we got war for sale !". Tout est réalisé dans la plus pure philosophie du progressif, avec par exemple cette batterie fracassante et son utilisation massive des cymbales, caractéristique du prog mais surtout de
Shadow Gallery. La voix de Mike Baker est une merveille, mélodieuse en permanence, et capable de montées dans les aigus maîtrisés à la perfection.
Aucun autre morceau ne subit de baisse de qualité, et les soixante-treize minutes que dure l'album ne comportent jamais de moments de faiblesse. Mais parmi les moments les plus intenses, on retiendra le fabuleux
Mystery, sur un tempo un peu plus lent, permettant des émotions plus fortes. Et même si encore une fois les instruments font du très bon boulot (en témoigne cet excellent - et long - solo de guitare), c'est principalement à la voix de Mr. Baker que l'on doit la magie du morceau. Le refrain est propre à donner des frissons à toute âme un tant soit peu sensible, avec ce magnifique "It's electric on a silver thread" un peu plus aigu.
On trouve dans la foulée un très beau
Hope for Us ?, encore plus calme, mais encore plus puissant. Le piano, associé au son grave et chaud de la basse et à la frappe bien nette de la batterie donne un rendu sublime, sur lequel il ne reste plus qu'à poser le chant. Suit un long passage instrumental, aux mélodies enchanteresses, jusqu'à ce qu'arrive à nouveau le refrain. L'intermède Broken clôture le premier acte, à l'aide d'un piano et d'un chant calme et délicat aux intonations si caractéristiques.
I Believe ouvre donc le deuxième acte, avec ces chœurs étranges, avant un piano bientôt doublé par la lourdeur de la guitare électrique et de la basse. Mike Baker rend alors sa voix tantôt plus agressive, plus rude, pour encore mieux s'élever ensuite lors d'un refrain grandiose.
Shadow Gallery expérimente d'ailleurs beaucoup sur ce morceau avec ces effets sur ces voix en écho, qui donnent un côté "opéra" intéressant. Il est marqué dans le livret qu'apparaît
James LaBrie de
Dream Theater sur ce titre, mais j'ai beau l'écouter, je n'ai jamais pu y discerner sa voix au timbre pourtant aisément reconnaissable.
Nous traverserons ensuite les puissantes routes du tonnerre divisées en trois sections, puis les mots parlés, partagés avec une voix féminine (Laura Jaeger) sur fond de piano et de violon pour un ensemble plus tragique mais toujours aussi beau, pour arriver vers le fameux New World Order. C'est cette fois
DC Cooper qui a l'honneur d'entamer brillamment le titre. Son timbre ressemble étrangement à celui de Mike Baker, ce qui fait que la transition entre les deux est parfaitement fluide. La musique se fait plus lente, mais les claviers, omniprésents, ajoutent une dimension épique nouvelle, tandis que les instruments se déchaînent peu à peu, dans une sorte de chaos ordonné, offrant une remarquable démonstration de progressif.
DC Cooper et Mike continuent à se passer la balle pour le final grandiose : "This world is mine !".
Novembre arrive alors avec un magnifique et calme
Ghost of a Chance, et c'est enfin bientôt le jour de Noël.
Tyranny se conclut donc par ces lignes de piano, simples et délicates, à la fois envoûtantes et entêtantes.
On a toujours du mal, après ces fabuleuses soixante-treize minutes, à se rendre compte exactement de ce que l'on vient d'écouter.
Tyranny est une œuvre à part, découlant directement des plus grands moments du heavy metal à tendance progressif. Pour moi,
Tyranny est simplement le digne héritier du légendaire Operation :
Mindcrime de Queensrÿche. On retrouve entre les deux de nombreux points communs, en plus d'avoir des chanteurs exceptionnels et de jouir des meilleurs productions et mixages de l'histoire du metal. On retrouve aussi dans ces deux disques la volonté de passer un message de nature assez politique. Quant à la musique en elle-même, on a un aspect technique simplement parfait (quelle production !) ; et la chronique, en sa qualité de texte soumis à une certaine subjectivité, m'autorise de même à trouver parfaites l'interprétation et la composition.
Shadow Gallery vient de se payer une œuvre magistrale de progressif en cette année 1998, mais
Tyranny est loin d'être leur seul chef d'œuvre ...
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