Angoissante épreuve pour le fan de toujours que l'attente d'un nouveau
Manilla Road. On a pleine confiance en Mark Shelton, on l'adore, d'ailleurs on lui a vendu son âme depuis bien longtemps, et on en est sûr, ce sera de la bonne dope. Mais depuis quelques (trop longues) années, une question de plus en plus insidieuse vient tarauder cette belle confiance : verra-t-on enfin le groupe de Wichita secouer sa torpeur et donner un successeur digne de ce nom au dernier chef d’œuvre en date, j'ai nommé le «
Voyager » de 2008 ?
C'est avec une amertume teintée d'agacement que je me vois contraint de vous répondre par la négative. Non que la prestation soit franchement mauvaise : si tel était le cas, vous ne liriez pas ces lignes, votre serviteur ayant passé son désespoir en commettant le seppuku. Mais ce qu'on attend d'un champion, ce sont des échappées glorieuses, des sprints de folie, des montées de cols héroïques ; au lieu de ça, c'est un peu en roue libre que
Manilla Road décline son art sur son 18e album studio, préférant à l'évidence se reposer sur des lauriers depuis longtemps gagnés que de partir à la conquête de nouvelles couronnes. J'ai beau adorer les chats, lorsque j'attends un rugissement de tigre, je ne peux manquer d'être déçu par le ronronnement de gros matou satisfait que m'évoque parfois ce «
To Kill a King ».
Cela dit, tout est loin d'être négatif dans cet opus. Suite au départ de Josh Castillo soucieux de cultiver sa vie de famille, le nouveau bassiste Phil Ross vient s'intégrer au groupe avec aisance. J'ai aussi apprécié le jeu de batterie de Neudi, qui gagne en puissance et en délié, servi qu'il est par une production qui donne plus de résonance à son expression : à tel point qu'il sauve certains passages de la banalité. Et bien sûr, il y a des morceaux qui sont fameusement bons (tout de même!).
Autant le précédent album, «
The Blessed Curse », frappait par la vivacité de ses titres, autant «
To Kill a King » est plus posé. À l'exception de The
Arena, on culmine dans le mid-tempo et on reste souvent dans des rythmes globalement plus lents. C'est dans ce dernier registre que débute la plus belle pièce de l'album,
In the Wake, qui évolue vers un mid-tempo bien balancé ; tout l'art sheltonien s'affirme avec facilité et naturel : douce intro acoustique, ample renforcement du riffing,
lignes vocales débordant d'émotion et long final emporté par un de ces grands leads dont Shelton a toujours le secret. Même si on est en terrain connu, on biche.
Un peu moins poignant mais tout aussi réussi, le titre éponyme, sur lequel s'ouvre l'album, est un autre temps fort. Un mid-tempo aéré et savamment maîtrisé canalise une brûlante histoire de vengeance où le riffing majestueux ponctué d'arpèges et la batterie magnifique d’à-propos encadrent la profonde voix grave de Shelton, dont la fureur contenue ne déborde presque jamais sur le grondement. Magnifique morceau où la richesse et l'éclat mélodique se déploient sous une tension de cocotte-minute prête à éclater.
Un cran en dessous, «
To Kill a King » nous offre deux autres bons morceaux, The Other Side et The
Arena. Le premier a l'ambiance trouble et le caractère obsédant de certains des titres les plus noirs d'un «
Out of the Abyss », sur un rythme plus retenu et la nouveauté en moins ; mais un fort joli solo et une belle voix veloutée de Mark Shelton le font passer avec bonheur. The
Arena devrait faire les temps forts de la tournée 2017, car cet up-tempo rentre-dedans aux accents épiques, avec l'alternance des voix claires de Bryan Patrick sur les couplet et des grondements de Shelton sur le refrain, avec ses brillantes parties solistes, a tout pour enflammer un gig. Restera-t-il dans les annales, je ne sais, mais il s'écoute avec un plaisir certain.
Après, j'ai bien peur que cela ne commence à se gâter. Bonne ambiance sur The
Talisman, irréprochable techniquement et peut-être même superbe... à la seule condition de découvrir
Manilla Road. La sensation de déjà-entendu m'étreint et je ne peux m'empêcher de penser à une recette un peu trop souvent dégustée. Il en va de même avec
Castle of the
Devil, un peu plus travaillé mais sans surprise à force de recyclage. Délire de puriste jusqu'au-boutiste, m'objecterez-vous peut-être, on reste néanmoins dans un solide
Manilla Road, fidèle aux racines du groupe et ne fautant que par manque d'originalité. Soit.
Mais on commence vraiment à s'inquiéter lorsque ce sont précisément les fondations artistiques du groupe qui semblent vaciller.
Manilla Road, c'est toute la puissance de l'épopée qui s'exprime dans un subtil équilibre d'emphase et de finesse. Et dans cet ordre d'idée, deux titres de TKAK sont pour le moins boiteux, voire cul de jatte pour l'un d'entre eux. Mené sur un riff un peu trop simpliste et chanté d'une voix monocorde,
Conqueror n'arrive pas à décoller. Quant on pense que son sujet est Alexandre le Grand, ma foi... Ben à la place, mettez-moi donc une tranche ou deux d'Iron Maiden, merci ma bonne dame. Et avec un
Ghost Warriors consacré à la bataille de Teutoburg, un sujet qui aurait dû enflammer l'imagination artistique de Shelton, on commence à avoir les larmes aux yeux : le riff est poussif, le solo téléphoné ! Si les Germains d'Arminius avaient eu un tel hymne, au lieu d'être écrasées, les légions de Varus eussent emporté une écrasante victoire. Convenons tout de même que prendre
Manilla Road en flagrant délit de lèse-épopée, ça fait mal au cul.
On n'a pourtant pas touché le fond. Je passe sur l'insignifiant
Blood Island, caricature sans relief du
Manilla Road d'antan : il a au moins un atout, c'est d'être en dernière position et donc aisément écourtable (au demeurant, il ne vous écorchera pas les oreilles, il est seulement d'un piètre intérêt). Mais avec
Never Again, on n'est plus dans l'imitation plus ou moins fidèle du passé, on tombe dans une sorte d'hybride mièvre entre le folk, le pop et le
Metal (oh, si peu) qui devient carrément inconvenante. Neudi s'endort sur ses fûts et je suis sûr qu'il a besoin d'un roadie pour le réveiller avant le renforcement homéopathique du milieu de titre. Bref, la 3e plage est à oublier.
Me voilà le rouge au front d'avoir dit tant de mal de mon idole, il va me falloir beaucoup de séances de flagellations pour expier cet infâme péché... La déception y est pour beaucoup, d'autant qu'elle fait suite à cet excellent
Hellwell paru deux mois plus tôt et qui démontre que l'inspiration de Shelton est loin d'être sèche. J'en viens à me demander s'il n'est pas paralysé par l'honnête et méritée notoriété dont commence à jouir
Manilla Road : refusant toute prise de risque avec les albums officiels du groupe, il consacrerait toute sa créativité à ses projets parallèles,
Obsidian Dream ou
Hellwell. Cela ne me rend que plus impatient de découvrir le futur album avec Rick Fisher, batteur des premiers albums, promis pour les prochains mois. En attendant le prochain
Manilla Road, bien sûr, car je ne perds pas espoir : semper fidelis.
Cela dit, «
To Kill a King » n'est pas non plus un mauvais album : je pourrais presque le conseiller à quelqu'un qui ignore tout du groupe et qui profiterait ainsi d'une production nettement plus moderne pour découvrir
Manilla Road. Mais les vieux compagnons de route se reconnaîtront sans doute dans mes propos dépités ; avec mon Markounet, c'est à la vie à la mort, mais l'amour n'interdit pas une certaine lucidité, surtout après 35 ans de vie commune. Bon, sur ce, je m'en vais me repasser «
Voyager ».
Post scriptum, 27/07/2018. Journée maudite. Mon cœur saigne. Ce soir, un gros orage a fait pleuvoir d'énormes grêlons, d'une taille que je n'avais encore jamais vue. Ce sont les larmes des Muses, qui pleurent la mort de Mark Shelton.
Enfin, comme je le disais, semper fidelis. Et je n'avais pas réalisé sur le moment que c'était la devise des US Marines, corps dans lequel Shelton a contracté un bref engagement dans sa jeunesse ;-)
Beau texte en tous cas, finement argumenté.
Merci JL pour cette nouvelle chro du groupe. J'ai mis le temps avant de poster un com', ne désirant pas me laisser emporter par l'enthousiasme de mes premières écoutes. Les mois ont passé, les écoutes se sont succédées et franchement je suis très, mais alors très, content de ce skeud.
Je pense que nos notes respectives ne seront pas forcément très éloignées mais que nos ressentis le sont bien davantage car c'est tout simplement pour moi leur meilleur album depuis le fantastique "Voyager". Je ne sais même pas si j'espérais encore un album de ce niveau de la part du groupe qui, comme tu l'écris, commencait à sérieusement ronronner à force de ne plus sortir de sa zone de confort.
En fait, je crois que j'aurai pu écrire (avec le talent en moins bien sur) exactement la même chro que toi ici mais pour décrire mon ressenti de l'album précédent du groupe, un "Blessed Curse" aux titres étonnament courts pour du Manilla Road, et qui me gave un peu. En clair, je ne retiens pas grand chose, et surtout pas sur le disc 2, archi chiant je trouve.
Alors que là, MIAMMMM.
Déjà la prod' est peut être la meilleure qu'ait jamais eu le groupe. Et quand bien même on s'est "habitué" à ce que le groupe nous offre des prods, hum comment dire, décalées, c'est vraiment agréable de pouvoir profiter ainsi du jeu des musiciens. A ce titre, le jeu de Neudi m'a juste troué le c-l. C'est un pur bonheur de l'écouter. Je ne suis pas spécialiste mais j'ai du mal à penser que c'est le même batteur qui officie sur cet album et sur le précédent. Et pourtant c'est bien le cas.
Ensuite, y'a de la guitare (solo) de partout et j'aime la guitare (solo). Bravo le Shark! Du coup, pour moi, les 3'40 de "Conqueror" passent très vite, c'est quasiment un solo permanent (réussi à mon goût)!
Je ne développe pas plus, tu m'as compris, nos ressentis divergent quelque peu (mais comme toi "In the wake" est mon titre préféré). Cool, ce sera l'occasion d'en reparler lors de notre prochaine rencontre. Lors d'un concert en terre bretonne de Manilla Road en 2018 peut être?
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