L’eau, l’infinité, la physique et maintenant la Terre ; autant de sujets universels et intemporels servant de support aux albums solo de
Devin Townsend, unique et sensationnel vocaliste, guitariste, producteur et claviériste ; tête, jambe, corps et cerveau d’un projet éponyme et expérimental.
"
Terria" est un opus à prendre complètement à part des autres albums du génial canadien, car il marque plusieurs étapes dans sa vie, autant sur le plan musical que personnel.
Si le terme "maturité" vient d’emblée à l’esprit lors de l’écoute de ce long disque de près de soixante dix minutes, il sera rapidement secondé d’un second adjectif : "paix".
Oui, pour la première fois de sa carrière, le musicien semble en harmonie et en paix avec lui-même, comme sortie de cet immense trou noir qui l’avait englouti à la parution de l’inestimable "
Infinity", devenu dépressif et interné en hôpital psychiatrique. L’effort nécessaire pour ce chef d’œuvre avait poussé Devin à produire un "
Physicist" complètement différent, dépouillé, minimaliste, presque simple et largement plus violent, sans aucune autre contrainte que libérer cette douleur qui emplissait son être toujours en proie à la drogue.
On ressent donc en premier lieu ce sentiment de paix animant le chanteur sur "
Terria", un homme libre et en pleine possession de ses moyens physiques et mentaux. Personne ne pourra alors dire (car ce fut le cas à la sortie de "
Physicist" !) que Devin ne pouvait composer que dans un état second et qu’il ne possédait pas en réalité les clés de son propre talent.
"
Terria" représente donc la première étape de sa rédemption qui se terminera sur le "
Alien" de
Strapping Young Lad.
Mais cette totale maitrise des éléments aura eu pour effet de complexifier au maximum une musique déjà difficile d’accès. Les morceaux, longs pour la plupart (de six à neuf minutes si l’on met de côté les intro) proposent des structures labyrinthiques et éprouvantes, de plus mises en valeurs par une production d’une épaisseur innommable et d’une richesse dans le spectre sonore quasi-unique, ne se dévoilant qu’après de longues tentatives d’écoutes.
Personnellement, je crois me souvenir que pas moins de trois mois m’auront été nécessaires pour pouvoir écouter l’album dans son intégralité pour la première fois, tant un blocage se produisait en moi à certains passages. C’est assez étrange à admettre et expliquer mais c’est tout à fait vrai.
L’écoute de "Olives", l’introduction, vous fera sans doute comprendre une part du "smilblick". Dans l’épaisseur d’un brouillard sonore se fait entendre une atmosphère mystique, étrange et opaque mais d’une attirance presque macabre devant ce rythme binaire et répétitif (un riff pachydermique, limite doom, et aliénant !) mis en avant par ce son si impressionnant n’ayant pas pris une ride et n’ayant également jamais été aussi précis, loin de la production de "
Infinity" où, il faut l’admettre (même si ce n’est pas à proprement parler un défaut), le nombre incalculables de pistes rendait le tout parfois difficile à suivre. Ici, tout semble plus naturel et moins surchargé, tout en restant expérimental et barré comme le démontre ces voix bizarroïdes.
Puis déboule "
Mountain" qui fera que ce disque ne possède pas la note maximale mais "qu’un" 19. Comprenez bien, ce titre est très bon d’un point de vue musical, mais si fade qu’il ne nous touche pas. Il est également le morceau le plus agressif de l’album, avec un chant bestial et inhumain hérité de S.Y.L et "
Physicist".
Va-t-on subir la désillusion de ce début de siècle. "
Earth Day" se cale entre nos oreilles et nous colle une baffe à laquelle personne ne pouvait s’attendre. Probablement le meilleur morceau (musicalement parlant) qu’ait jamais composé Devin, véritable ode à la nature et à notre belle planète, il n’est qu’un assemblement de plans et de trouvailles toutes plus merveilleuses et magiques les unes que les autres.
Dès les premières secondes, le rythme plus lourd, posé et solennel dégage une atmosphère enivrante et vivante dont la grandeur et l’émotion n’a d’égale que la splendeur de la nature dépeinte par Devin tout au long de ces neuf minutes. Les arrangements de claviers sont surement les plus inventifs qu’il ait jamais créé, d’une clarté stupéfiante et apportant une approche ambitieuse de la musique.
Gene Hoglan derrière ses futs, évoque cette violence ne quittant jamais vraiment Townsend.
Et que penser de sa performance vocale ? Que ce soit lors des passages où elle est samplé afin d’être démultiplié (au début par exemple lorsqu’il chante "Recycle, Recycle…"), sur les passages calmes pleins de poésie où les déchainements de violence, sa voix est impériale et se module à l’infini, comme pour montrer une nature pouvant se faire noire et destructrice lorsqu’on la provoque malheureusement un peu trop.
Un monument de génie musical !
Mais on ne descendra pas des cieux sur le magnifique "Deep Peace" ; paisible, beau et donnant l’impression de se trouver en totale harmonie avec notre environnement. Mais c’est surtout son solo qui restera dans les mémoires, laissant exploser à la face du monde les possibilités d’une guitare. On peut le nommer comme la définition parfaite de pureté ou de beauté à l’état pure. Les instruments se taisent, laissant place à ces notes d’une infinie délicatesse, côtoyant le divin pendant presque deux minutes tandis que nos larmes coulent sans que l’on puisse ou veuille les retenir.
Le sentiment unique de toucher quelque chose de vraiment spécial nous transporte, et nous fait comprendre qu’une note dira toujours infiniment plus qu’un mot, tant ces derniers se dérobent car étant dans l’impossibilité de décrire ce que nous venons de vivre.
C’est sans doute cette émotion si pure qui est difficile à suivre au début, car peu (y en a-t-il d’autres ?) sont ceux à la développer. "
Terria" se veut différent car il parle à notre cœur plus qu’à nos oreilles, il chuchote des émotions que chacun interprète selon son vécu et son expérience.
C’est sans doute pour cette raison que "Nobody’s Here" restera à jamais le morceau le plus beau qu’il m’ait été donné d’entendre sur cette Terre. Une mélancolie abordée dès le premier accord, un Devin fatigué et à fleur de peau retournant nos tripes (il y un titre comme ça dans tous ses albums, mais celui-là va encore plus loin !) en contant la vie de tous les jours, une existence ordinaire où tous se reconnaitront, la solitude d’une journée se démultipliant des milliers de fois.
Une ballade (même si je n’aime pas ce terme pour Devin) dans toute sa splendeur, avec un refrain des plus désespérés, où il s’arrache les cordes vocales et nous lance de plein fouet toute sa douleur et sa peine et un solo une nouvelle fois d’une pureté troublante, à se demander où il peut chercher des sentiments si pertinents avec son expression musicale.
"The Fluke" et "Tiny Tears", également très éprouvant lors de leurs écoutes, se veulent bien plus expérimentaux. Si le premier marie la pop avec un metal parfois très agressif (renvoyant à "
Life" ou "
Christeen"), le second est le titre le plus avant-gardiste de "
Terria". Les sonorités sifflantes de guitares, la distorsion utilisée se veut plus dérangeante, plus malsaine (évoquant pour ma part le fait que la pureté n’est qu’éphémère, et que la corruption de l’âme est partout présente !) sans pour autant oublier l’aspect émotionnel, pure et angélique d’un album que seuls des dieux auraient pu rendre plus beau.
Un album qui tirera sa révérence sur un titre catchy de pop mélodique nommé "Stagnant", véritable rayon de soleil et hit taillé pour la scène. Une manière de terminer une œuvre de façon bien plus positive qu’elle avait commencé en chantant ce refrain facilement assimilable, cette partie de batterie légère et sans prétention sans jamais tomber dans la niaiserie caractéristique de ce genre de chanson.
Une page se tourne, que l’on redécouvrira avec un plaisir qui ne diminuera probablement jamais. Un émerveillement continuel nous coupant du monde pendant plus d’une heure. Car c’est un conseil, écoutez l’album seul, c’est avant tout une expérience personnel que de se livrer entièrement à "
Terria".
Lui et son successeur "
Accelerated Evolution" n’étant que la matérialisation d’un homme enfin en paix avec lui-même.
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