Rares sont les formations croates à venir fouler les planches de la scène metal atmosphérique gothique à chant féminin et à tenter de se mesurer aux formations majeures du genre, dans la veine de
Trail Of Tears,
Lacuna Coil ou
Tristania. C'est pourtant dans ce chaudron bouillonnant que nous immerge l'expérimenté sextet natif d'Ivanec, conjointement initialisé en 2003 par le guitariste et grunter Zlatko
Kuster, le batteur Marko Bregovic et le claviériste Zoran Ernoi, avec pour objectif avoué d'en découdre réellement, munis pour cela de ce premier album full length sorti chez WormholeDeath Records, tenu tel un bâton de maréchal. Pour ce faire, suite à des changements de line up, le combo, désormais dans les mains exclusives de Zlatko, a pu compter sur la collaboration de Miran Spiko (batterie), Sinisa Godinic (guitare), Filip Babic (basse et choeurs), Rudolf Lovrencic (claviers) et Ivana Novak (chant clair non lyrique).
De ce collectif en ressortent dix titres variés et aux compositions averties, conjuguant habilement une rougeoyante ferveur, une mystérieuse, voire gorgonesque ambiance à une douce et évanescente mélancolie, le tout étant bâti sur le classique schéma vocal de la belle et la bête. Simplement, tel un trait d'union entre passé et présent, les quarante-sept minutes du skeud sont, pour l'essentiel, issues de leurs travaux antérieurs, compulsant huit des neuf morceaux de leurs quatre démos (« Reverie » (2005) ; « World of Shadows » (2007) ; « The
Path of
Sorrow » (2009) ; «
Deathwish » (
2012)), auxquels s'ajoutent deux inédits. Bénéficiant de conditions d'écoutes satisfaisantes, eu égard à un mixage ajustant convenablement les parties vocales et instrumentales entre elles, œuvre de Jonathan Jonny Mazzeo (Mathlab Recording Studio), on comprend que cet effort stimule le désir d'introspection plutôt qu'une simple visite. Ce qu'inspire déjà le délicat artwork de la pochette d'inspiration néo-romantique, signé Jan Yrlund.
Là où le groupe décoche ses premières flèches pour tenter de toucher nos âmes concerne les titres en up tempo d'obédience dark gothique. Ainsi, diabolique et rageur, «
Deathwish », inquiétant et véloce titre de cette obédience, déboule tel un coup de canon sur une rythmique fougueuse étreinte d'un riffing détruisant tout sur son passage. Dans cette dévastatrice et glauque ambiance, la belle de ses impulsions puissantes et feutrées calées dans les médiums rejoint son caverneux growler, qui fait saigner ses lignes de chant tout en stimulant l'appétit au point d'en redemander. Ce faisant, on suit le cheminement harmonique de bout en bout, le point optimal étant atteint sur la crête du refrain, tout en infiltrant une lead guitare à l'alerte délié sachant faire virevolter ses notes pour nous envoûter sans avoir à forcer le trait. De son côté, un touchant piano nous introduit sur « Room of
Broken Mirrors », diluvienne piste dark gothique où règne une terrifiante bête arrachée des entrailles de la Terre, corroborée à sa douce qui, de ses inflexions en demi-teinte, sait tempérer pour un temps ses ardeurs. On suit la folle embardée sur un tracé mélodique invitant, à la façon de
Tristania, et qui se dessine finement sur les refrains, avec même quelques variations de tonalité, bien qu'on les aurait souhaités moins répétitifs en finalité. Par ailleurs, des nappes synthétiques nous attirent sur « Step into
Darkness », frondeuse piste sympho gothique, un poil dark, au cheminement mélodique sécurisé. Les fûts sont martyrisés de bout en bout et les riffs se font éminemment cinglants sur ce fouettant instant habilement mis en exergue par les patines oratoires de la maîtresse de cérémonie. A mi-morceau, un break opportun au piano offre un moment de quiétude, relayé par un délicieux solo de guitare, contrastant avec la déferlante instrumentale qui nous arrive en pleine face, qui nous submerge jusqu'au terme de la pièce.
Certains passages ont recelé un visage moins engloutissant, offrant une lumière mélodique plus franche et une atmosphère moins crépusculaire. Ainsi, d'une part, une bourdonnante et fulminante rythmique accolée à des riffs assassins rendent corrosif «
Fallen We Are », entraînante plage au tracé mélodique invitant, rendue plus opérationnelle encore sous l'impact des volutes oratoires de la sirène. Quand le growler entre dans la danse, le climat devient plus glaçant, et ce, sans y perdre en luminosité harmonique. Un beau solo de guitare nous est octroyé sur un petit pont, précédant la reprise sur le refrain, agréablement mise en relief par l'empreinte vocale d'Ivana aussitôt rejointe par son acolyte pour un échange sous haute tension. D'autre part, le stimulant « Dreams of You », titre gothique mélodique, se montre souriant de par sa ligne mélodique bien ciselée et ses arpèges à la lead guitare plutôt efficaces, non sans rappeler
Delain. On découvre, cette fois, la douce assistée par une voix masculine claire pour des jeux de correspondances non dénués d'intérêt. Ce serait compter sans la présence de la gorgonesque bête, offrant une triangulation bien amenée, conférant une touche death à l'affaire. Soudain, un break survient, enjolivé par un délicat piano, avant que l'animal ne se fasse mordant, appelant de ses vœux sa belle qui, comme par enchantement, déploie des trésors d'ingéniosité pour nous enlacer le tympan pour que notre attention jamais ne s'affadisse. Et la sauce prend, sur une piste aux allures d'un hit.
Par moments, le combo a su brider les chevaux, ralentissant d'autant la cadence, pour quelques passages non moins impactants. Aussi, de délectables gammes au piano invitent à découvrir «
Inside Your
Raven Eyes », plombante et mélodieuse piste dark goth en mid tempo d'où émerge une voix masculine par effet de réverbération. Soudain nous parvient une angélique et féminine présence par fragments, ponctuant par sa présence le refrain. Les growls se font gras et profonds, avec une certaine amplitude, contrastant avec les fragiles envolées de la douce, le long de séries de notes opportunes. D'autre part, quelques doux arpèges au piano ouvrent et ferment la marche sur « As She Leaves Me All Alone », mid tempo aux faux airs de ballade. Une grasse rythmique d'où s'extirpe une féroce créature ne nous lâchera pas d'une semelle. Se faisant alors relayer par de cristallins pétales de voix distillés par la sirène, la plage devient soudain plus propice à la captation de nos âmes, le cheminement harmonique n'étant pas sans rappeler
Sirenia, avec quelques relents de
Trail Of Tears. Mention spéciale pour le flamboyant solo de guitare sur ce titre jouant avec à-propos sur les contrastes vocaux. Enfin, une boîte à musique s'enclenche, puis des choeurs et une orchestration gagnant progressivement en amplitude introduisent «
Heart of
December », engageante piste sympho gothique un poil dark en mid tempo. Des couplets mélodiquement bien sculptés sont octroyés et les refrains se montrent aisément mémorisables. Aussi, dans ces compartiments, la déesse, de par ses suaves et ondulantes envolées, non sans évoquer The Corrs, sait nous retenir.
Plus discrète, la sombre présence de son acolyte l'accompagne sans prendre l'ascendant, nous amenant ainsi à l'abord des refrains en toute sérénité. L'orchestration se densifie et s'embrase alors pour nous amener à flirter avec les éléments pour ne plus nous laisser d'autre choix que d'y revenir.
Le collectif croate n'a pas omis quelques gammes plus intimistes, nous offrant quelques mots bleus propices à la captation de nos sens. Ainsi, une gracieuse et pénétrante ballade nous est adressée à l'instar de « World of Shadows », non sans rappeler l'univers acidulé des Britanniques d'
Apparition, avec une pointe dark en prime. Quelques furtives prestations de la bête se chargent de nous le faire comprendre. Mais, rien ne vient véritablement perturber le moment tamisé que l'on parcourt tout le long sans sourciller, la belle ne manquant pas d'user de ses charmes tout en jeux de fines modulations pour nous faire plier l'échine. Et ce n'est ni le volubile solo de guitare, ni la qualité de la ligne mélodique qui viendront contredire ce constat, même si l'on aurait pu se passer de la caverneuse présence, au final, pour profiter plus encore de l'instant fragile, dont la clôture aurait gagné à se faire plus dégressive que radicale.
Cela étant, malgré ces louables qualités, il y aurait une ombre au tableau. L'espace percussif lacère le tympan alors que la rythmique se fait pesante sur «
Masquerade », vrombissante piste dark gothique au tracé mélodique incertain, où l'acariâtre bête évolue sur des charbons ardents pour venir taquiner nos pavillons. Quelques accords orientalisants à la lead guitare ajoutent un côté mystique à un morceau qui, feignant de devenir techniciste, laisse de jolis refrains émerger à la surface. Mais, la digestion risque d'être perturbée par de trop nombreuses portées aux séries de notes mal assorties, au final.
On ressort de l'écoute de la roborative rondelle stupéfait par le degré de maturité déjà affiché par la production dans son ensemble. Le parcours s'effectue sans encombres dans ce paysage de notes doux-amer oscillant entre ombre insécurisante et lumière céleste, avec quelques prises de risques pleinement assumées, apportant une pointe de sel à un propos aussi tumultueux qu'énigmatique et nuancé. Si les compétences techniques sont au rendez-vous de nos attentes, si les jeux de contrastes vocaux semblent convaincants, quelques lignes mélodiques encore flottantes restent à affiner pour offrir à ce projet l'efficacité requise par leurs auteurs. Si ce patchwork permet d'offrir à son auditorat une intéressante synthèse de ses premières ébauches, il serait désormais souhaitable que le combo se penche sur son avenir, en concoctant un album à part entière, afin de nous livrer ses futures esquisses. Bref, un potentiel s'affirme déjà, qu'il convient de valoriser encore pour lui autoriser l'accès au rang de valeur montante du registre metal dans lequel il sévit depuis déjà quelques années. On l'aura compris, pour l'heure, il serait donc prématuré de les voir convoler parmi les cadors du genre. En attendant que le projet murisse encore, on pourra se laisser porter par les gammes et les arpèges contenus dans ce pléthorique et sémillant opus. Affaire à suivre, donc...
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