Dream Theater est un groupe respecté à bien des titres. Fins musiciens, ils ont su se creuser une niche dans le metal progressif, créant une sorte de chaînon manquant entre
Rush et Iron Maiden, et se sont surtout fait connaître au moyen de longs breaks instrumentaux, attirants pour les uns, repoussants pour les autres. Ayant malgré tout fait preuve à plusieurs reprises d'une redoutable efficacité en matière de composition, même si celle-ci fut entachée ça et là de soupçonneux "emprunts" (voir ma chronique de
Train of Thought pour un petit récapitulatif non exhaustif) ou d'un virage un peu trop commercial au goût de certains (avec le néanmoins bon "
Falling into Infinity"), le dernier album en date qu'était "
Scenes from a Memory" avait mis tout le monde d'accord. Qu'on apprécie ou pas, DT ça en jetait quand même un max.
Il faut donc dire que la sortie de ce sixième disque studio était entourée d'un vif intérêt, surtout en reluquant le menu : un double CD, 6 morceaux, dont un dépassant les 40 minutes! Le doux grain de folie du rock prog des années 70 semblait être de retour, et moi qui croyais que plus aucune maison de disques n'accepterait de sortir un truc dans la veine de "Tales From Topographic Oceans" (double album de Yes sorti en 1973 fait de 4 morceaux de 20 minutes), j'en étais réduit à bouffer mon chapeau.
Maintenant, si la forme était pour le moins alléchante aux yeux des prog addicts, c'est une autre histoire pour le fond. C'est, en effet, début 2002 que l'on voit apparaître (à ma connaissance) la notion de "coin d'inspiration" dans les interviews de Mike Portnoy, habituellement chargé de la chose. Il a beau dire que le groupe fonctionne comme ça depuis sa naissance, le bougre, mais ce sixième album marque nettement le début d'une inversion dans les proportions : avant 2002 la part des morceaux où l'on était frappé par telle ou telle ressemblance était très largement minoritaire, alors que dorénavant, DT va se faire une spécialité de singer ses groupes favoris, parfois avec tellement de mimétisme que cela confinera au risible.
Le coin d'inspiration est donc cet endroit merveilleux du studio contenant quelques CDs, où vont naître des clones de riffs déjà existants, des idées recyclées et autres eurékâs frauduleux. Tout un programme!
L'album démarre pourtant à tombeau ouvert avec The
Glass Prison, dont les 3 premières minutes passent comme une lettre à la poste, mélangeant habilement mélodies travaillées et feeling thrashy énergique. Ca se gâte un peu au premier couplet (chanté par Portnoy), qui inaugure ici la longue série d'imitations de James Hetfield, série toujours en cours. L'avantage, c'est que celle-ci est sans doute la moins frappante de toutes. Le morceau continue sa progression jusqu'au refrain à 4'37", refrain plutôt raté car il casse la dynamique du titre. Puis c'est le drame. 5'54", gros break lourdingue directement inspiré par
Pantera, avec même des scratches de guitare tout droit sortis de
Rage Against The Machine. Sauf que DT ne sera jamais ni
Pantera, ni RATM. Ça sonne aussi naturel que si on avait demandé à ces deux groupes d'incorporer un joueur de synthé et de faire du prog. Bref, break chiant comme la mort. 9'44", redémarrage à fond les ballons pour le classique dialogue guitare / claviers évidemment achevé par l'inamovible synchronisation. La fin du titre convainc et me laisse un désagréable goût amer. Les 4 minutes du milieu sont vraiment malvenues. Dommage.
Blind Faith est le morceau 100%
Dream du premier disque, typiquement faussement commercial, avec ses premières minutes plutôt mainstream, laissant la place à un refrain plus heavy, puis vers 5'00" s'enclenche un long break instrumental où changements rythmiques et thèmes mélodiques mid tempo accrocheurs parsemés de solos règnent de façon absolue. Sûrement pas leur meilleur titre mais, ma foi, fort agréable à écouter.
On passe à Misunderstood, titre plutôt étrange qui part comme étant la ballade de l'album, mais qui se noircit au fil des minutes. Le refrain saturé est assez convenu, mais le thème dépressif qui tombe à 4'32" puis à 6'37" s'avère surprenant. Le solo de Petrucci joué à l'envers rajoute une couche de mystère et l'on obtient une espèce de croisement entre
Soundgarden,
Nine Inch Nails, Radiohead et les Beatles. Très étonnant, et même si je n'accroche pas franchement, ce titre a le mérite d'exister.
Quatrième pavé du disque, The Great Debate. Intro syncopée qui monte en puissance, couplets, ponts, refrains variés et convaincants, on peut toutefois regretter que le break se fasse attendre et désirer puisqu'il débarque à 9'27"! Les solos et thèmes techniques ET mélodiques (comme quoi c'était possible d'éviter de faire de la bouillasse sur l'album suivant) servent au bout du compte un break / final bien court en proportion du reste. Alors, bon titre ou pas? Finalement, ça dépend s'il on a déjà écouté
Tool. En 2002 je n'en connaissais aucune note et logiquement The Great Debate m'était apparu comme un titre concluant. Mais maintenant, c'est une autre histoire. Les gimmicks de
Tool sont volontairement placardés un peu partout (mention spéciale au passage "are you justified to take life to save life" qui fera hurler de rage les adeptes d' "Ænima"), et laissant perplexe quant aux conséquences du fameux "coin d'inspiration".
Bon allez, c'est déjà plus ou moins arrivé par le passé, reconcentrons-nous pour accueillir le cinquième et dernier titre du premier disque (ma gentillesse me perdra).
Disappear… "C'est sans doute le morceau le plus expérimental que nous ayons jamais fait. Il est novateur, même si certainement très influencé par Radiohead", Mike Portnoy. Attends… j'ai mal entendu… Peut-il nous la refaire, sa bonne blague? Parce que là, on est tout simplement en train d'écouter du "OK Computer", alors si c'est ça qu'il qualifie d' "expérimental" et de "novateur", soit il manie l'ironie, l'antithèse et le second degré d'une main de maître, soit il nous prend ouvertement pour des abrutis avec une effronterie sans borne. Vous l'aurez compris, Disappear n'a aucun intérêt. Du balai.
Le bilan de ce premier disque apparaît donc très mitigé :
Premier titre plutôt chouette dans l'ensemble mais souffrant d'un break casse-couilles et peu naturel car pompé sur un style
Pantera qui ne leur sied guère.
Deuxième titre de qualité et honnête dans la composition.
Troisième titre original dans le mélange relativement subtil de différends existants.
Quatrième titre, tribute band à
Tool pour une bonne partie. Frustrant.
Cinquième titre, tribute band à Radiohead. Tout sauf "expérimental et novateur" XD Totalement vain.
Heureusement, j'ai là sous la main le second disque comprenant le fameux monument de 40 minutes et des bananes. Malheureusement, d'un point de vue général, c'est beaucoup moins homogène qu'un Change Of Seasons, qui lui, est un véritable morceau-fleuve aux transitions léchées. Dans "6 Degrees…", on ne peut que constater le foirage complet des transitions sensées intégrer la partie The Test
That Stumped
Them All au reste. De plus, Goodnight
Kiss, commençant très doucement juste après un fade-out, donne l'impression que le morceau global est coupé en deux.
Concernant la musique en elle-même, elle est loin de faire l'unanimité chez les fans de DT, contrairement aux compositions-cultes du groupe. L'intro à rallonge va en saouler certains par son côté mickey parade ou générique miss France sur quelques passages (1'07", 3'24", 4'22"), alors qu'elle possède par ailleurs d'
Excellentes parties poignantes et bien orchestrées. C'est d'ailleurs parfois tellement bien "composé" qu'on détecte une ressemblance flagrante avec le morceau The Wall du groupe
Kansas (écoutez The Wall à partir de 3'30"… no comment). About To
Crash possède de bons moments et constitue un titre d'entame probant d'une durée raisonnable. La partie suivante,
War Inside My
Head, est par contre clairement sous-exploitée à mon goût. Trop bien foutue pour être si courte! Du vrai
Dream Theater agressif comme je l'aime, c'est-à-dire pas comme dans le break de The
Glass Prison. Hélas, l'immonde transition introduisant The Test
That Stumped
Them All débarque trop tôt : une cascade de notes déboulant sans crier gare et ressemblant à un exercice d'échauffement des doigts joué à fond la caisse. Pourtant, cette partie exploite de bonnes idées et met en musique le côté frappadingue des textes d'une manière réussie.
Ensuite, Goodnight
Kiss permet aux oreilles de faire une petite pause tout à fait bienvenue et possède, d'après moi, le second moment fort du disque, à savoir le final, dont la superbe et grisante guitare solo s'emboîte parfaitement avec Solitary Shell. Mais flûte, zut et crotte, cette sixième partie n'est qu'un vulgaire copié-collé de Solsbury Hill de Peter Gabriel. Une coïncidence, sûrement… ha-ha-ha. La suite est plus anecdotique, avec une reprise d'About To
Crash et une outro reprenant les grosses ficelles de l'intro (avec encore une fois ce passage à la
Kansas). Conclusion somme toute classique pour insuffler une pseudo-homogénéité au moyen de quelques artifices.
"6 Degrees…" est globalement un bon titre, mais souffre de défauts qui pourront être rédhibitoires pour certains : transitions parfois ratées, manque global de cohésion et repompes – encore…
Il fut intéressant d'analyser cet album plusieurs années après sa sortie. Je pense que, comme beaucoup en 2002, j'ai été aveuglé par le côté ronflant du disque. Le projet était très ambitieux, mais finalement il l'était peut-être un peu trop. Les "emprunts" sont maintenant institutionnalisés au sein des compositions du groupe et de facto les grands moments sont plus rares. Je conseille de vous procurer ce disque si vous êtes fan de DT, mais prenez-le avec des pincettes, ayez du recul par rapport à ce qui est proposé. En janvier 2002, Rock
Hard titrait "
Dream Theater, sont-ils vraiment humains?", et je crois que la réponse est "oui", car j'ai appris qu'à partir de ce "6DOIT" ils pouvaient parfois être vraiment malhonnêtes.
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