L'exercice du Split est souvent le fruit d'une rencontre, d'une convergence de styles ou de créativité entre deux groupes. SaaR avait déjà réalisé un Split avec The
Random Monsters, en 2021, et remet le couvert en compagnie de Maudits.
SaaR, formé d'Alexandre Le Mouroux (Guitare),
Boris Patchinsky (Basse), Yann Desti (Guitare) et Julien Taubregeas (Batterie) a déjà sorti quatre LPs, le dernier étant "
Gods" (2021) ; il pratique un post métal instrumental sombre et mystique, dans la lignée d'un
Russian Circles.Quant à Maudits, composé d'Olivier Dubuc (Guitare et effets), Erwan Lombard (Basse) et Christophe Hiegel (Batterie et Samples), il explore depuis le post rock jusqu'au
Doom, et possède à son actif un EP et un premier LP éponyme sorti en 2020.
Chacun a enregistré, mixé et masterisé son titre de son côté, SaaR avec Francis Caste (
Hangman’s Chair, Regarde les Hommes Tomber, etc.) au Studio Sainte Marthe (
Paris), alors que Maudits a confié le mixage et le mastering à Frédéric Gervais au Studio Henosis (
Misanthrope, Pensées Nocturnes, etc.).
Ce split sorti le 30 septembre chez Source Atone Records, mérite bien son nom, car les deux morceaux eux-mêmes sont en plusieurs parties, et cela s'applique aussi au morceau de Maudits dont chaque partie se re-divise, toutes ces subdivisions donnant une sorte de mise en abîme.
Les univers de SaaR et Maudits se rejoignent sur les deux titres, comme s'ils racontaient la même histoire dans deux mondes différents. L'atmosphère est assez voisine sur les deux titres, avec une ambiance de musique de film, presque documentaire.
On commence avec SaaR en crescendo de roulements tribaux, par-dessus lesquels le thème se transforme, d'une version dissonante, puis lumineuse, de plus en plus claire. On se trouve quelque part entre doom sludge, industriel et noise, où la lourdeur se conjugue avec l'aérien."Loved" est donc en plusieurs parties, semble redémarrer sur de nouvelles bases en son milieu.
J'ai pensé à
Neurosis,
The Ocean,
Godflesh et
Russian Circles, dans leur coté le plus contemplatif. On s'imagine découvrir un lieu majestueux, inquiétant et magnifique.
Le morceau de Maudits, créé spécialement pour ce split, est en trois parties indiquées dans le titre et sur le verso du CD.
La première partie de "Breken" s'envole avec des guitares célestes qui s'entrecroisent comme des oiseaux, alors que seule une basse conteuse et raconteuse ainsi que la batterie restent ancrées au sol. La deuxième partie est plus industriellement étrange, avec un pattern sec comme un général cybernétique, rêgnant au dessus de la matrice. La dernière partie de "Breken" forme un climax instrumental où tous les instruments s'envolent de concert.
Les effets prennent une place à part entière, presque égale à celle des notes, dans la manière dont les arpèges s'égrenent, accompagnées par un violon et quelques touches de piano discrètes. Le rythme est très lent, chaque coup se cale inexorablement sur le temps. J'ai pensé étrangement... à un
Metallica époque black album (le rythme pesant, le jeu de guitare à une corde) plus sombre et dénué de vénalité.
Ce Split garde une cohérence qui rend son écoute très agréable, malgré la longueur conséquente des morceaux et l'absence de chant. Aussi, le rythme d'ensemble, lent et pesant, n'empêche pas de ressentir des montées d'intensité, qui se concluent sur le bouquet final de "Breken". La production de Francis Caste et Frédéric Gervais est classieuse et homogène, rendant bien toutes les nuances sonores présentes ici, en préservant la singularité de chaque groupe.
SaaR est aussi instrumental sur ses albums, mais bien plus énergique, rentre dedans et direct. Pour Maudits, il vogue avec le même vaisseau, mais sur des eaux plus sombres dans son voyage avec Saar.
En passant, la différence entre les deux Splits de SaaR est assez impressionnante, et ils exploraient une facette bien plus brute, saccadée et violente sur celui avec The
Random Monsters. On a l'impression de visiter l'enfer sur le premier, et le paradis sur le second.
Nul doute qu'avec une telle carte de présentation conjointe, on a envie de jeter une oreille à la discographie de ces deux groupes sombrement hexagonaux, dont le talent tranquille et maîtrisé fait plaisir aux esgourdes.
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire