« Qu'est-ce que la maturité ? Le rajustement de soi aux autres ; on réconcilie ses ambitions avec ce que l'on accepte d'être parmi les autres. »
Pierre Gélinas
De maturité, certains artistes n’en ont jamais manqué. Si l’on prend l’exemple d’un artiste, français qui plus est, tel que
Manigance, le terme prend tout son sens selon la définition de monsieur Gélinas. Effectivement, que dire de ces habiles musiciens qui, sous la houlette du guitariste / compositeur / producteur François Merle, se sont évertués depuis leurs débuts à créer un metal mélodique et progressif de très haute volée et surtout techniquement élaboré, sans pour autant jamais se prendre pour les nouveaux
Symphony X, auxquels on dénombre un certain nombre de points communs.
Cinq ans après un "L’ombre et la Lumière" qui avait enfin frappé au plus haut de la scène, laissant loin derrière les concurrents (francophones ou non) et les imperfections des précédents opus.
Manigance n’avait dès lors plus rien à envier aux plus grands groupes. On pouvait même trouver dans ces textes en français si pointu et creusés une originalité et une sensibilité souvent absentes d’un genre frôlant parfois la masturbation intellectuelle. Les Franciliens, eux, développaient au contraire leurs émotions de la plus belle manière qui soit…
Mais justement, après cinq ans, on commençait à croire que le groupe appartenait au passé, notamment à cause d’une présence scénique bien peu existante et de nouvelles annoncées au compte-gouttes. C’est donc avec une bonne année de retard que
Récidive voit enfin le jour, sans réel support médiatique à l’appui (merci
XIII (ISL) Bis), et bardé d’une pochette tout ce qu’il y a de plus banale et décevante, bien loin de la beauté de celle de l’opus précédent. Passons néanmoins ces détails d’ordre technique…l’album est entre nos mains et la seconde chose que l’on remarque, c’est que le groupe avait des choses à dire : pas moins de quinze compositions pour près de soixante-dix minutes de musique.
Tout d’abord difficile à appréhender par sa longueur, "
Récidive" est déstabilisant par sa multiplicité d’idées et de compositions et son absence de morceau fleuve ou réelle cassure pour reprendre son souffle (pour peu que l’on pense que l’instrumental "Vertiges" en soit une). Un effort est donc nécessaire pour apprivoiser ce cinquième opus.
On pourra reprocher justement l’absence d’une longue composition progressive comme l’avait été la majestueuse "L’ombre et la Lumière" au profit d’un nombre très important de pistes, mais
Manigance laisse éclater son talent au fur et à mesure des écoutes, et l’on sent relativement facilement qu’après cinq ans de disette, les esprits s’échauffaient. Il n’y a qu’à voir la direction plus agressive prise par les riffs et les soli, absolument exceptionnels de Bruno Ramos et Jean Lahargue ; le nouveau claviériste.
"Dernier Allié" impose le nouveau membre comme un fils spirituel de Michael Pinnella (
Symphony X) tant son intro respire le feeling des Américains, tandis que les soli se font hurlants et ultra techniques. Le chant de Didier Delsaux se veut toujours aussi magnifique, ample et gracieux, livrant des textes sensibles et humains (même si, en étant pointilleux, peut-être un peu moins originaux ou acerbes que par le passé).
Manigance impressionne sur le break par sa qualité technique et son sens mélodique pour ne jamais tomber dans la démonstration stérile, malgré la déferlante de notes.
On trouvera également quelques touches à la
Firewind sur le sublime "L’Ombre d’Hier", s’approchant de compositions comme "Falling to Pieces" ou "Embrace the Sun". Le texte de Didier se fait superbe et touchant, évoquant le deuil et l’esprit des morts, chanté avec une émotion immense et s’envolant littéralement sur le refrain, tandis que les guitaristes distillent des riffs plus accessibles mettant en exergue de magnifiques lignes de claviers. "
Secrets de l’Ame" et "En Seigneur" laisseront également beaucoup d’espace aux claviers, notamment le second, qui jouira en plus de soli disséminés un peu partout dans le morceau et surtout un refrain entêtant qui, une fois dans la tête, la quitte très difficilement.
On retrouve la griffe de
Manigance sur chacune des compositions de l’album, plaçant encore une fois la barre très haute, et souffrant peut-être d’un excès de professionnalisme ; tant et si bien qu’il manquerait parfois un petit grain de folie. Néanmoins, comment ne pas se délecter d’un implacable "Mercenaire", à la partie de batterie plus syncopée, aux claviers épiques et une nouvelle fois au refrain tellement hymnique qu’une seule écoute suffit à le connaitre définitivement (dans la veine du succulent "Mourir en Héros" sur "D’un Autre Sang").
On retiendra également l’imposant "Vertiges", instrumental lourd et agressif aux riffs sortant parfois d’une inspiration à la
Megadeth, laissant libre cours aux délires techniques de chacun des membres, sans pour autant que l’on puisse penser qu’ils en font trop (comme ils l’avaient déjà fait sur
Labyrinthe).
L’album se veut de toute manière indéniablement trop complexe et dense pour en faire le tour en quelques écoutes, et encore moins dans un texte. Il implique une certaine concentration d’écoute que certains auditeurs auront perdue par l’habitude d’écouter du prémâché sans saveur mais il en ressort justement un sentiment d’accomplissement et de maturité à son écoute : notamment celle d’un groupe qui joue avec le cœur et les tripes, sans jamais se prendre pour quelqu’un qu’il n’est pas, créant son univers et sa personnalité au gré des riffs.
Quasi parfait objectivement, "
Récidive" marquera probablement moins que son prédécesseur, qui marquait un énorme pas en avant alors que celui-ci n’est qu’une continuité aboutie.
Manigance joue avec ses armes et le fait admirablement bien. Ils font vivre une tradition se perdant avec les années tout en étant tout aussi moderne que leurs concurrents (le très actuel et lourd "Déserteur" le prouve aisément). L’année débute définitivement de bien belle façon…
Réécouté ce matin. Album intéressant bien que trop long à mon goût. En revanche, le livret est d'une pauvreté. Un vrai travail de merde de la part du label.
Superbe chronique pour un super groupe français...enfin
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