« Tous les hommes craignent de se faire posséder par une sirène. »
Recluse au fin fond de sa caverne aqueuse, l’ensorceleuse fluviatile
Sirenia nage aujourd’hui en des eaux bien houleuses, prise dans une tempête à l’impulsion meurtrière et au mouvement tortueusement frénétique. Objectivement donc, la formation norvégienne semble essayer de raviver la flamme d’un art séculaire remis au goût du jour par des chantres au souffle impérial.
Tristania, pour ne citer qu’eux, a prouvé au détour d’un « Darkest White », en totale rupture avec une quelconque démarche stylistique commerciale, qu’il était possible de perpétuer un metal gothique ténébreux et tourmenté loin de niaiseries sirupeuses.
Difficile, en effet, de s’accrocher aux purges stridentes qu’étaient «
The 13th Floor » ou bien encore «
The Enigma of Life ». Éprouvante et foncièrement fatigante, la nouvelle chanteuse, Ailyn, s’offrait à nous dans le but d’exalter et de tempérer nos pulsions sauvages. Subséquemment, il est surprenant de constater que cette dernière soit toujours présente dans le line-up, surtout lorsque l’instabilité du groupe en ce qui concerne ses cantatrices soit rentrée dans la légende.
Se voyant sombrer petit à petit dans les abimes de l’oubli,
Sirenia dévoile alors une nouvelle direction au sein de ce nouveau recueil « sobrement » intitulé
Perils of the Deep Blue. Musicalement, on assiste, tel le fracas des vagues, à un retour singulier du grunt si caractéristique de Morten Veland mais aussi à une plus grande utilisation d’éléments symphoniques. Tout cela pouvait paraître intéressant et laissait présager une possible réconciliation avec la sirène au regard bleu océan.
Et c’est là que le bât blesse : à l’image des précédents travaux, la production semble impersonnelle et froide comme l’océan, encore une fois, et entraîne le corps et l’esprit au centre d’une lame à la couleur monochrome et chiatique. Pourtant,
Sirenia paressait porté par quelques moments nostalgiques rappelant les dogmes passés. Ainsi, «
Seven Widows Weep » nous fait rêver comme au bon vieux temps grâce à sa cavalcade rythmique enjouée et à une musique dont l’ampleur mystique (ces chœurs !) irradie des rivages rocailleux.
Inexorablement, il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître qu’ Ailyn s’est améliorée en se confinant encore un peu plus dans un registre proche de
Liv Kristine, tout en gardant une mélancolie sous-jacente, si bien qu’aujourd’hui elle se révèle indispensable. Aidé dans sa recherche d’harmonie par un Morten à la tonalité vocale crue, le duo livre du moins un travail honnête et mieux maîtrisé que par le passé, nous entraînant dans une spirale hypnotique. Fortement dominé par l’emprise émotionnelle, le morceau "Ditt Endelikt" chanté exclusivement en voix claire masculine par Joakim Naess, parvient même à dévoiler une atmosphère au visage profond et évocateur, à la poésie musicale cobalt. Une sorte d’écho des profondeurs drapant une lueur lunaire.
Hélas, le disque ne parviendra à faire illusion que lors de quelques fugaces instants de clairvoyance. La suite nous cantonne dans un schéma structurel redondant et frustrant, manquant de panache. Des titres comme «
Darkling » ou «
Decadence » cache la misère de riffs éculés derrière un apanage synthético-symphonique racoleur et fragile. L’aspect linéaire de cette œuvre prend donc relativement de l’ampleur au fil des minutes en exposant comme porte-étendard un titre fleuve de près de 13 minutes. « Stille Kom Døden » se montre ainsi inintéressant avec son riff cathartique et minimaliste, une sorte de pavé jeté dans la mare et s’enfonçant dans un mécanisme routier et difficilement renouvelable.
A l’arrivée, «
Perils of the Deep Blue », même s’il se révèle supérieur aux deux précédents albums, laisse une désagréable impression, celle d’une occasion gâchée, un coup d’épée dans l’eau. On ne pourra que déplorer l’absence réelle de relief à l’écoute de ce travail aseptisé et manquant de finesse. Visiblement accablé par le poids de leur stature,
Sirenia, pourtant animé des meilleures intentions, n'arrive plus à sortir la tête d'une eau décidément froide.
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