Comparer, analyser, échanger, conceptualiser... L’âme humaine est curieuse et analyste par essence et l’art n’y échappe pas, constamment scrutée, dépouillée dans ses moindres détails pour en extraire chaque parcelle afin de le juger et le codifier.
Difficile de ne pas regarder en arrière quand les œuvres passées sont fondatrices et quand les anciens bâtisseurs ne sont plus là, ayant laissé la place à de jeunes loups prompts à les remplacer et à assouvir leur soif de domination.
Kamelot avait, en effet, vécu un moment difficile avec le départ du Norvégien Roy Khan suite à "
Poetry for the Poisoned", de plus un album décrié par la critique et en-deçà des productions précédentes, notamment la sainte trinité "
Epica"/"
The Black Halo"/"
Ghost Opera", pour beaucoup, intouchable et presque parfaite.
"
Silverthorn" avait donc pour prétention de montrer au moment Tommy Karevik, jusqu’ici chanteur de
Seventh Wonder, au monde et de démontrer que même si Roy était un frontman et une voix à part dans le monde du metal mélodique, le compositeur géniteur du groupe restait bel et bien Thomas Youngblood depuis les débuts. S’ensuivit donc un album puissant, conservateur et fort, sans surprises mais suffisamment bien exécuté et écrit pour qu’il puisse nous prévoir un futur rayonnant tout en intronisant en douceur un chanteur talentueux, physiquement ressemblant à son illustre prédécesseur et usant d’un jeu de scène étrangement similaire également au romantique Norvégien.
Le challenge de "
Haven" aujourd’hui est de faire avancer le groupe, sans le dénaturer tant son propos est aujourd’hui à part dans le style, mais en intronisant suffisamment d’éléments nouveaux pour ne pas lasser les fans. Thomas et Tommy furent d’ailleurs catégoriques en promotion de ce nouveau disque, "
Haven" est plus sombre, désabusé et évoque une société en perdition, constamment sous contrôle, en proie à la peur, la paranoïa et constamment sous la sellette d’un apocalypse social.
Cela peut faire peur mais ce n’est pas la première fois que
Kamelot se fait plus ténébreux. Le groupe nous a habitués depuis quelques années à des guests souvent extrêmes et des ambiances parfois plus sombres, notamment sur "
Ghost Opera" et "
Poetry for the Poisoned".
"
Fallen Star" débute l’album sur la voix pure et délicate de Tommy, sans préambule, avant qu’une épopée symphonique ne débute afin de lancer le disque. Une mélodie de Thomas très traditionnelle accompagne le titre, ponctué d’un riff assez saccadé sur les couplets et d’un Casey Grillo de gala jouant beaucoup de ses toms intermédiaires pour instaurer une ambiance martiale et sombre. Vocalement, Tommy reste dans un registre similaire à celui qu’on lui connaissait sur le précédent disque, très proche de Roy mais toujours fidèle à l’esprit de
Kamelot, peut-être avec quelques incartades supplémentaires dans des parties plus brutes. Ceux qui pensaient, avec "
Haven", que Tommy changerait radicalement seront déçus car, non seulement ce n’est pas le cas, mais en plus le Suédois use et abuse énormément de multiples vocodeurs et filtres vocaux qui ternissent et travestissent parfois sa véritable voix et sa sensibilité naturelle. Effet dommageable selon moi car si cela instaure une noirceur et une possession en phase avec le disque, cela ne fait que masquer sa performance naturelle.
On reste sur des acquis que
Kamelot maîtrise parfaitement. "
Insomnia", comme premier single, opère un power puissant et sans surprises mais délivre un superbe refrain qui, s’il est proche de certains autres titres, fait tout de même mouche. On notera également un solo en question/réponse entre
Oliver et Thomas, fait pas forcément commun chez le groupe qui fait plaisir à entendre.
"Veils of
Elysium" hausse nettement la vitesse d’exécution et se rapproche, par la même occasion, beaucoup d’un titre comme "
Ghost Opera". A l’instar de cet album, "
Haven" renoue véritablement avec une emphase symphonique sur ses titres et c’est quelque chose de flagrant sur ce morceau où les cuivres et les orchestrations se font massives et imposantes. On pourra regretter, en revanche, un refrain si convenu et toujours ce besoin de terminer les phrasés par des effets sonores saturant la voix. Le solo de Thomas est en revanche une petite pépite de vitesse et de mélodie qui rebondit directement sur un break orchestral saccadé qui pourra faire l’effet d’une bombe en concert.
Cependant, il faut se le dire,
Kamelot ne surprend pas, ou peu, et déçoit même dans sa totale absence de prise de risques alors que le moment semblait opportun pour le faire. Certes, on reconnait le groupe entre mille mais "
Haven" se confond beaucoup trop avec les précédents opus dans une bonne moyenne, sans transcender les codes du groupe, ni les porter plus haut. Un titre comme "
Liar Liar", par exemple, est en tout point excellent, rapide, orchestré et d’un haut niveau d’exigence mais il manque quelque chose. Pourtant, on sait, là encore, que le titre sera sûrement impérial en live (cette mélodie qui revient constamment sur les coups de caisse claire) mais en studio, les frissons ne sont que partiels. Tommy chante parfaitement bien, on secoue la tête mais on ne ressent pas la sensation magique que nous offrait "
Ghost Opera" ou "
The Black Halo" et nous ne pouvons-nous cacher derrière les balbutiements d’un nouveau line-up qui nous forçait à être partial sur le précédent opus.
"
Haven" parvient parfois néanmoins à ses fins. "
Citizen Zero" contient cette fameuse ambiance sombre et lourde (digne d’un
Dream Theater époque "
Six Degrees of Inner Turbulence" sur l’intro) et montre ce que Thomas a voulu faire de l’album. Le riff est plus sec, la ligne vocale est inventive et ne suit pas du tout la mélodie initiale, pondant un refrain impressionnant et très surprenant, presque narquois, ironique. Les chœurs du break renforcent considérablement l’atmosphère mystique, effet encore renforcé par un solo de claviers tout ce qu’il y a de plus étrange et tortueux. On pense forcément à l’ambiance de "
Poetry for the Poisoned" mais en bien plus aboutie. De même, comme sur "
Silverthorn" avec "Song for Jolee", Tommy se surpasse sur la ballade "Under
Grey Skies", bouleversante et partagée avec
Charlotte Wessels (
Delain). On sait
Kamelot très doué dans le registre mais il est vrai que ce titre apparait comme l’une des plus belles réussites pour le groupe et l’un des plus beaux moments de "
Haven". Impossible de ne pas mentionner également l’autre ballade, "Here’s to the
Fall", où Tommy chante purement et simplement comme Roy, l’effet étant saisissant tant on doute sur la nature réelle du chanteur (sauf quand il monte réellement dans des aigus très sensibles où il montre sa « vraie » voix). Dommage et finalement inutile car on en ressort frustré.
Puis arrive "Revolution". LE morceau dont Thomas parle dans chaque interview, étendard et symbole de la violence du discours parcourant "
Haven". Un morceau agressif, presque extrême, partagé avec Alissa White-Gluz (déjà présente sur "
Silverthorn") qui, elle-aussi, se retrouve complètement noyée dans un vocodeur excessif qui modifie complètement son timbre (à ce niveau, n’importe qui pouvait être à sa place, le résultat serait le même) et le sature à outrance. On reconnait évidemment la jolie Canadienne hurlée mais on est loin du naturel qu’elle utilise dans
Arch Enemy où jadis dans
The Agonist. Ajoutons à cela que, finalement, le morceau use d’effets cinématographiques (pensons à Hans Zimmer) pour rendre le titre imposant et pose une grosse partie de double pédale pour intensifier le propos mais ne fait que rendre son titre boursouflé, étouffé et synthétique. Violent pour violent, sombre pour sombre...sans forcément y croire. On a la curieuse sensation que cela est faux, en comparaison d’un "March of
Mephisto" ou d’un "
The Great Pandemonium" qui s’inscrivaient complètement dans leurs albums respectifs.
Étrange sensation donc quand ce havre, loin d’être de paix, se termine. Celle que
Kamelot reste furieusement ancré dans ses acquis, que ses prises de risques sont savamment calculées et millimétrées. On ne ressent que peu de passion, peu de chaleur...et là où "
Poetry for the Poisoned" avait déçu car il n’était pas cohérent, celui-ci déçoit car il ne remplit pas son marché. Il est loin d’être aussi novateur, sombre et vindicatif qu’annoncé, en notant que les titres les plus sombres sont parfois bancals (excepté le génial "
Citizen Zero"). Après un "
Silverthorn" plein de promesses et jouant logiquement la sécurité, "
Haven" ne transforme pas l’essai et peine à retrouver son souffle. Trop de superficialités, trop d’effets, trop de bidouilles pour un groupe pourtant réputé pour sa sensibilité, sa finesse et sa délicatesse. Comme si quelque chose était cassé et que le groupe cherchait, par n’importe quel moyen, à réparer une âme partiellement évanouie aux quatre coins de la création...
Lorsqu'ils ont écrit les chansons, qu'ils voulaient plus sombres, ils ont du se dire "ok les gars, on veut que ce soit sombre ? On oublie la délicatesse. On met du growl et de l'électronique en déformant la voix de Tommy !!" Révolution en est la preuve. Le refrain est assez imbuvable, et finalement, la mélodie en elle même manque d'originalité...c'est du bourrin pour être bourrin.
Mais le reste des titres j'ai accroché, plus que silverthorn...
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