Cinq années séparent l'excellent
Phantom Antichrist de ce nouveau Gods of Violence, au titre évocateur en ces temps sombres. Avec son album précédent,
Kreator a su convaincre par une ambition mélodique plus affirmée tout en conservant une hargne néanmoins délivrée de manière beaucoup plus parcimonieuse qu'à ses tonitruants débuts ou lors de son retour vers la reconquête du trône du thrash européen, au début des années 2000. Un peu comme si
Kreator s'était enrichi, mais aussi quelque peu policé à la fois. Enchaînant les tournées et les festivals en bon groupe professionnel qu'il est devenu à la force du poignet, le quatuor reste le leader européen du style, mené par le charismatique duo fondateur Petrozza / Reil (guitare et chant, batterie) accompagné depuis plusieurs albums maintenant par Yli-Sirniö (guitares, depuis 2001) et Giesler (basse, depuis
1994). Pourtant l'imagerie précédant la sortie de l'album, limite de bon goût, et les deux morceaux plutôt mélodiques dévoilés en avant première pouvaient laisser craindre une baisse qualitative chez les vétérans allemands.
Reprenant la structure et les éléments qui ont fait le succès de
Phantom Antichrist, le nouveau
Kreator est composé de dix morceaux (comme son prédécesseur) plus une intro martiale d'une minute digne d'un péplum, idéale pour lancer un album avec brio ("Apocalypticon"). Ainsi, tout au long du disque, on retrouvera des refrains soignés, parfois entêtants ("
Satan Is Real", "Gods of Violence", "Side By Side"), des couplets mélodiques ou effrénés déclamés par la voix éraillée habituelle de Miland Petrozza et des parties instrumentales fort bien agencées, donnant à chaque morceau son identité. Des passages satisferont également les plus anciens fans (citons le pré-refrain du rapide "World
War Now" qui renvoie au phrasé déjà entendu sur "
Awakening Of The Gods", clin d’œil sans doute involontaire), avec des rythmiques véloces (le très thrash "Army Of Storms", "Side By Side", et surtout l'implacable "Totalitarian Terror", digne petit frère de "Civilisation
Collapse" qu'on bave de voir asséner live) sur des morceaux nerveux joués de manière immédiatement reconnaissable. Le sens du riff "made in
Kreator" étant ici encore une fois bien mis en avant au gré de breaks nombreux et à propos (l'efficace "
Lion With Eagle
Wings"), conférant à l'album entier un aspect abouti, point fort du disque, dans la lignée de
Phantom Antichrist. Avec un sequencing comparable à l'album précédent, nous notons ainsi la présence d'un titre final mélodique et aux cavalcades heavy plutôt convenu, un opener qui défrise, et un titre bien plus rapide que le reste du disque ("Totalitarian Terror", donc) sur encore une fois dix morceaux. Mention aussi aux soli réussis de la paire de guitaristes, faisant preuve d'une complémentarité optimale, avec de petites subtilités enrichissant les compositions. Ce peut être anecdotique pour certains, mais le retour à quelques cris arrachés de Petrozza, pas entendus depuis perpette, font bien plaisir et ne sont pas innocents. Aucun risque d'être déçu donc pour les nombreux adeptes du
Kreator des années 2010, tant on se situe ici dans une continuité artistique certaine, qualité incluse.
Toutefois, sans réellement dénaturer le style du groupe (certains passages peuvent malgré tout interpeller), et nonobstant les errements plus ou moins réussis des années 90 ayant appris à Miland Petrozza, son principal compositeur qui apprécie d'autres styles musicaux très éloignés de l'univers du groupe, qu'il ne convenait pas de brusquer sa fan-base, il est indéniable que le groupe évolue. Un parti-pris compréhensible et risqué à la fois. Depuis
Hordes of Chaos (2009), les harmonies sont de plus en plus présentes, et cet élément est ici encore poussé d'un cran. Il est probable que la tournée avec
Arch Enemy ait aussi conduit plus ou moins consciemment le groupe à adopter certaines des caractéristiques typiques du death mélodique (sur le refrain de "Gods of Violence", quelques leads mélodiques ça et là sur les refrains, ou le final de "Death Becomes My Light", divisé en trois parties bien distinctes), qui pourront rebuter les "thrashers canal historique". Sans sacrifier à l'agressivité ni à la mélodie (quelques plans auraient très bien pu figurer sur
Coma of Souls, telles les 30 premières secondes du virulent "Army Of Storms" au pattern de batterie identique à celui du morceau éponyme de cet album),
Kreator s'oriente vers un équilibre entre harmonies et furie héritée de ses jeunes années avec une production propre, comme on l'imagine en 2017 de la part d'un groupe de ce calibre. En essayant d'équilibrer ses deux facettes, le gang de la Ruhr a semble t-il trouvé une recette payante, en faisant un grand écart assumé de manière que l'on imagine réfléchie.
Avec un album dont chaque morceau se détache facilement l'un par rapport à l'autre, annihilant tout risque de monotonie malgré une durée supérieure à 52 minutes,
Kreator sort, cinq ans après, le petit frère de
Phantom Antichrist, en appliquant peu ou prou la même recette. Truffé de morceaux très réussis, et doté d'une belle unité globale avec une qualité d'écriture équivalente, Gods of Violence enfonce ainsi le clou de son prédécesseur. Seuls les fans ne jurant que par la furie juvénile du groupe des années 80 (et à qui on conseillera de poser une oreille sur
Division Speed ou
Farscape selon si l'on préfère Ventor ou Mille au micro), se sentiront exclus par l'aspect (très, ou trop au choix) propre et mâture de compositions indéniablement entraînantes et hautement recommandables.
Excellente chro, merci Jérome. Même ressenti que toi, j'adore ce disque. Tu parles de mélodies entêtantes et c'est exactement ce que j'aurai écrit moi aussi pour décrire la plupart des compos de ce skeud. Thrash, heavy, heavy thrash, j'en sais rien mais ça le fait vraiment. A confirmer sur scène.
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