Passé un certain cap, chaque album d’un artiste est attendu avec autant d’appréhension que d’impatience, partagé entre la crainte de voir un opus sans inspiration et celui de réécouter ceux qui nous ont tant donné précédemment.
Gamma Ray a atteint un tel niveau lors de ses dix premières années qu’il était difficile de continuer sur cette pente ascendante indéfiniment et ce qui devait arriver arriva. L’inquisiteur et créateur du power metal déclina, l’inspiration faillit et les albums se succédèrent sans passion ni grâce, entre syndrome de page blanche et plagiat parfois peu délicat, surtout de la part d’un homme et musicien aussi accompli que Kai Hansen.
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Land of the Free pt II" en fut la principale victime pendant que son successeur, le peu acclamé "
To the Metal" remonta légèrement le niveau sans pour autant créer un réel enthousiasme. Le temps de "
Land of the Free" ou "
Powerplant", où
Gamma Ray se montrait maitre incontesté d’un power metal épique et ravageur, était non seulement loin mais semblait appartenir à une autre époque, désormais inaccessible. Le départ de Dan Zimmermann, membre depuis près de quinze ans, ne rassura personne, lui qui était devenu une arme de guerre supplémentaire derrière sa batterie et compositeur de certaines compositions de référence. Et alors qu’
Helloween ne finissait plus de revenir en force depuis dix ans,
Gamma Ray faisait le chemin inverse, lui qui avait toujours semblé au-dessus de tout, détenteur d’une formule magique que l’on pensait inaltérable.
Le mini-ep "
Master of Confusion", sorti l’année dernière, rassura quelque peu sur les velléités des allemands qui ne semblaient pas vouloir s’abattre et livraient un disque rempli à ras-la-gueule de contenu pour un prix modique. La tournée avec les citrouilles revigora encore plus la bande qui dû faire face à l’incendie de son studio pendant qu’ils étaient en Amérique du Sud. Mais ce qui ne tue pas rend plus fort, d’après les dires d’un autre germanique…
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Empire of the Undead" présente donc Michael Ehre, batteur ayant déjà officié avec Metallium,
Firewind et bien d’autres et rompu au power metal comme personne. Une recrue de choix dont on pouvait simplement douter de la force de caractère, lui qui semblait très souvent en retrait dans ses groupes alors que Dan matérialisait sa présence par une force de frappe impressionnante. Force est d’avouer que le groupe semble toujours aussi soudé et que le départ de Dan, uniquement pour raisons personnelles (lassitude de la route, volonté de passer du temps avec sa famille) n’a pas entaché la volonté du Ray, bien au contraire.
Car débuté un disque par un morceau de l’ampleur d’"
Avalon", cela faisait quelques années que ce n’était pas arrivé. Là où "
Empathy" était surement le meilleur morceau de "
To the Metal", on en attendait logiquement plus. Ici, Kai revient à la dimension épique d’un "
Rebellion in Dreamland" ou d’un "
Insurrection", sans pour autant atteindre la puissance d’un "
Armageddon". Pétrie d’ambiances, la composition de neuf minutes se veut moins guerrière que les titres évoqués mais y gagne en émotion et en dimension épique, particulièrement dans le chant de Kai, très impliqué et interprétant son texte avec une volonté faisant singulièrement plaisir à entendre. Le refrain ponctué de chœurs impressionne et on remarque également une production plus tranchante et lourde, dont le mixage de Eike Freese (
Dark Age) ne doit pas être étranger. Henjo Richter est toujours aussi éblouissant dans ses interventions solistes, toujours virtuoses et différentes des soli de Kai souvent plus typiquement speed. Le pont de la composition est simplement exceptionnel, propre à devenir un grand moment en concert, Kai contant l’histoire de chevaliers partant au combat avant de livrer des « hoho » lançant un tempo bien plus rapide. On remarquera toujours une pointe d’influence de Maiden époque "
Seventh Son of a
Seventh Son" sur une partie du solo, surtout sur les claviers qui l’accompagne, mais rien de comparable avec des morceaux comme "From the
Ashes" ou "Opportunity".
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Empire of the Undead" ne pouvait mieux débuter et l’espoir renait, le poids des années est certes là mais Kai Hansen n’a pas tout dit (lui qui est une fois de plus compositeur très majoritaire de l’album).
Plus proprement
Power et agressifs dans la veine du
Gamma Ray que l’on aime, "
Empire of the Undead" (déjà connu mais toujours aussi jouissif) et "Hellbent" détruisent tout sur leur passage. Ce dernier arme directement son missile sur un riff monumental surmonté d’une double pédale proéminente. Les textes sont toujours tournés à la gloire du metal mais le refrain est une nouvelle tuerie (« Hellbent for
Metal !!! ») qui fait oublier ce détail, bien loin de la fadeur du titre éponyme de l’album précédent. "Demonseed" surprend même par sa lourdeur, tant les allemands ne sont pas forcément coutumier de ce genre d’exercice très heavy. La basse de Dirk résonne comme une massue et le chant se veut grinçant, presque possédé pour un refrain ambiancé, tel un rituel (le texte aidant) avant de repartir sur ce riff de pachyderme qui accompagne le morceau. On peut penser, dans l’esprit, au titre "
Majesty", trop souvent laissé de côté alors que son interprétation tend justement vers quelque chose de différent, dans un esprit plus heavy et lourd. "Demonseed" se fend d’ailleurs d’un break très beau, calme et planant très réussi.
A l’inverse, on retrouve également des mélodies que l’on avait un peu oublié dernièrement, à l’instar du terrible "
Born to Fly" (écrite par Henjo) qui renoue avec le côté mélodique d’un "No World Order !" sur le refrain, avec une certaine simplicité mais surtout cet aspect positif et rafraichissant hérité d’
Helloween (« Fly high like an eagle ! »). C’est d’ailleurs ce que ne parvient à faire que partiellement
Master of Confusion, paraissant étrangement plus molle sur l’album que sur le ep (est-ce le mastering ou le reste de l’album qui provoque ça ?) pendant que "
I Will Return" (avec le fameux « I’ll Be Back » de vous-savez-qui en guise d’intro) retrouve aussi cette fameuse grâce d’antan. Un riff heavy et catchy à souhait, un tempo élevé dans la plus pure tradition dans sonner clichée, un Kai en très grande forme (l’ombre de "
Powerplant" plane ostensiblement au-dessus de cette composition finale) et surtout un refrain déjà mémorable qui rentre dans le crâne avec une facilité déconcertante. Et que dire de ces chœurs majestueux les débuts du groupe ? De ce solo en tapping simplement parfait ? Juste que le grand
Gamma Ray est toujours, inspiré et grandiose, capable de donner la leçon à toute la scène lorsqu’ils s’en donnent les moyens.
On regrettera simplement la très fade "Time to
Deliverance" (encore une ballade de Dirk, comme "No
Need to
Cry", mais manquant cruellement de relief et de la grande d’un "The
Silence" ou "
Farewell") ou encore la première tentative de composition de Michael Ehre sur "
Pale Rider", sympathique mais pas forcément transcendante et possédant un feeling rock n’roll un peu décalage du reste du disque.
Gamma Ray signe clairement son meilleur album depuis dix ans et un retour en forme essentiel à l’heure où nous n’attendions plus forcément grand-chose du géant allemand. Si on ajoute à cela un packaging très soigné (malgré une pochette au gout contestable, largement moins éloquente que celle du ep) avec une version box brillante superbe, contenu l’album truffé de bonus, un dvd avec du live, un tee-shirt, un vinyle et des photos imprimées sur papier verni de chaque membre du groupe, cela fait un bien bel objet à exposer dans sa collection. Kai Hansen ne voulait visiblement pas se rater avec cet album et les petits plats ont été mis dans les grands. Une réussite et un statut pleinement assumé.
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