Si une formation peut se vanter d’incarner le chaos musical de la manière la plus extrême et personnelle qui soit, c’est bien
Anaal Nathrakh. En l’espace de quelques albums, le duo britannique a quasiment crée un nouveau style, fruit hybride et bâtard d’un black metal sombre et extrêmement rapide, d’un grind dévastateur et explosif avec un soupçon d’ indus’ dérangeant et glauque au possible. Cela fait maintenant plus de 15 ans que les Anglais s’évertuent à martyriser les tympans un tant soit peu aguerris de leur mixture sonore barbare et ce
Desideratum est déjà leur huitième full length.
Disons-le d’emblée,
Vanitas se plaisait à explorer des contrées plus modernes et mélodiques, notamment par l’apport de sonorités électroniques, et Desidearatum s’aventure encore plus avant dans cette voie, s’éloignant toujours plus des premières réalisations du groupe. Une introduction à l’horreur difficilement soutenable entre cris d’agonie à la souffrance palpable et triturations électroniques et bruitistes dérangeantes jaillit aussitôt des enceintes, comme un prélude à la boucherie. Ce Acheronta Movebimus dévoile ensuite des sonorités électro discrètes avant d’envoyer un riff saccadé très typé metalcore. Le tout est puissant, glauque et mélodique à la fois, grâce à certaines parties de guitares particulièrement bien chiadées, avec un rythme lent qui instaure une ambiance lourde et malsaine. On a même des relents de dubstep dans ces boucles électroniques et cette pesanteur martiale qui nous inonde de ses basses chaudes et ronflantes. Un début à la modernité affirmée qui introduit idéalement l’univers déglingué d’Annal Nathrakh et semble être un bon prélude à la tempête.
En effet, Unleash débarque et on se prend d’emblée un riff black brutal dans la tronche avant que les blasts monstrueux de St
Evil et les hurlements complètement dérangés et schizophrènes de V.I.T.R.I.O.L ne viennent nous lacérer le bulbe. L’explosion de violence est d’autant plus jouissive que le refrain, en voix claire, est entraînant et joyeux, quasiment dansant sur ce riff lancinant aux relents de dance floor. Putain, quel contraste ! Toujours aussi rapides et intenses, les Anglais nous balancent néanmoins sur la grande majorité de ces 11 titres des refrains chantés et catchy que l’on pourrait presque fredonner sous la douche, et qui ne sont pas sans rappeler
In Flames ou
Soilwork (Unleash,
The One Thing Needful,
Desideratum, Idol…). Le titre repart aussi sec sur ce déferlement de blasts mécaniques, ce riff froid et déshumanisé et les explosions vocales inhumaines de Dave Hunt. Les titres s’enchaînent dans un maelstrom infernal et le constat est sans appel :
Anaal Nathrakh est toujours direct et violent, d’une folie schizophrène toujours aussi jouissive, mais il est incontestablement plus mélodique et accessible que par le passé, grâce à ces refrains, donc, mais aussi et surtout grâce au traitement des guitares, souvent doublées, qui sortent des parties vraiment envoûtantes et entraînantes juxtaposées à ces riffs noirs à la beauté glaciale. Les grattes sont l’un des véritables points forts de l’album, nous confinant dans la douloureuse beauté de leurs notes froides et mélancoliques, et même si les riffs se ressemblent beaucoup d’un titre à l’autre, elles confèrent une unité noire et hermétique à l’ensemble de ces 46 minutes ( Unleash,
Monstrum in Animo,
Desideratum, Idol pour ne citer que quelques titres aux riffs magiques, qui résonnent comme de véritables tubes à la puissance dévastatrice).
Evidemment, le son est parfait et idéalement adapté au style du combo britannique, froid, puissant et mécanique, les guitares étant accordées bien graves et formant avec les basses et autres beats technoïdes un mur du son grondant.
Car oui, le point qui saute immédiatement aux oreilles sur ce
Desideratum, c’est son côté résolument moderne, notamment avec la mise en avant de parties électro, plus encore que sur
Vanitas : Unleash nous envoie de gros beats technos dans la face, rajoutant à la sauvagerie de l’ensemble, explosant en une sorte de symphonie urbaine décadente et sale, un peu comme si Atari Teenage
Riot copulait avec
Agoraphobic Nosebleed.
Monstrum in Animo nous défonce littéralement les tympans avec ses sonorités bruitistes et ses boucles technoïdes martiales à l’insanité nocive, mettant en avant un côté indus vraiment malsain ; le début de The Joystream, avec ce rythme synthétique, ce riff extrêmement lourd, grave et haché, et ces vocaux très death, fait carrément penser à
The Browning, tandis que la fin d’Ita Mori nous envoûte, semblant nous convier à communier sur le rythme primaire et sauvage d’une dubstep hallucinée et iconoclaste.
De même, n’en déplaise aux puristes, Idol se rapproche parfois d’un core virulent et moderne, notamment par l’émergence de certains riffs saccadés, de montées en puissances qui explosent en des parties à la fois nerveuses et mélodiques (Acheronta Movebiums, le début de
Desideratum, le pont de the One Thing Heedful, le riff en milieu de morceau de Sub Specie Aeterni…) et de cette incorporation de plus en plus systématique d’éléments électro qui ajoutent une puissance froide et synthétique à l’ensemble. Ceci dit,
Anaal Nathrakh reste toujours
Anaal Nathrakh, même s’il n’a jamais sonné aussi moderne et accessible, et sa musique complètement ravagée baigne toujours dans la folie destructrice la plus complète : il n’y a qu’à écouter les brûlots Unleash et
Monstrum in Animo, sur lesquels le mélange de blasts apocalyptiques, de riffs vitriolés et de décadence électronique atteint des sommets de jouissance malsaine, ou le particulièrement dérangeant
Rage and
Red aux vocaux abominablement étranglés, aux éructations parfois proches d’un Kvartforth (!) et au bref et strident solo puant l’aliénation mentale pour s’en convaincre.
Que conclure de cette nouvelle galette ?
Anaal Nathrakh continue d’évoluer, insensiblement, d’album en album, et opte pour un son plus moderne tout en conservant l’essence de sa musique, à savoir un magma chaotique de haine et de violence et des mélodies noires et insidieuses qui restent gravées dans un coin de notre bulbe ravagé.
Néanmoins, certains pourront déplorer que le tout sonne peut être trop froid, travaillé, mécanique et aseptisé, la spontanéité barbare et primaire des débuts semblant toujours plus reculer au profit d'un art plus poli et calculé.
Anaal Nathrakh semble parfois effectivement à la limite du pilotage automatique, comme s’il avait trouvé dans cette nouvelle voie plus moderne un filon musical à exploiter, enchaînant des titres aux structures similaires et aux riffs certes excellents mais trop ressemblants : un bon riff black porté par un blast déglingué et des vocaux de tarés en guise de couplet, quelques samples et beats électro pour faire monter la sauce, un refrain bien chiadé en voix claire avec des grattes plus mélodiques pour contraster avec la brutalité de l’ensemble, et hop, le tout est dans la boîte en quatre minutes, voilà un nouveau titre imparable d’
Anaal Nathrakh, merci les gars.
Alors oui, c'est un fait, les Anglais ne surprennent plus vraiment, mais après tout, ce n’est pas non plus ce qu’on leur demande, et il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître qu'
Anaal Nathrakh reste un maître incontesté dans l'art de nous atomiser le cervelet à coups de brûlots violents, chaotiques et jubilatoires. Ne faisons donc pas la fine bouche, tendons gentiment la joue, et encaissons ce nouveau manifeste de furie et de folie musicale dans la joie et la bonne humeur. Et avec le sourire s'il vous plaît!
Vous devez être membre pour pouvoir ajouter un commentaire