De toutes parties du monde, les exclamations enfiévrées était montées : "Le growl est de retour !". Il y avait de quoi s'emballer, mais, résistant à l'ébullition ambiante, je me suis empêché de porter la moindre oreille aux supputations, et bien gardé d'essayer d'entrevoir les premiers goûteux morceaux offerts à la curiosité des fidèles. Je préservais la virginité de la découverte, pour me délecter de sa solennité. Par peur d'être déçu ?
Opeth était arrivé à la fin d'un cycle, une fuite en arrière de quatre albums dans les années 70 et bien loin du death qui les a fait connaître. Mikael Åkerfeldt en était bien conscient, et choisi de se laisser guider par la spontanéité. Il a composé de manière assez rapide toute la musique avant de la proposer au reste du groupe, et a pris soin d'articuler les morceaux et de structurer l'opus. Le chant a mis un peu plus de temps à venir, puisque c'est un concept album dont il a vraiment dû adapter les paroles à une histoire chronologique et un canevas des morceaux déjà presque fixé. En parlant de vocaux, le bassiste Martin Mendez et le batteur Wallteri Väyrynen (
Paradise Lost, arrivé en 2022) ont été mis à contribution, avec quelques pistes de chant. On compte deux invités de marque :
Ian Anderson de Jethro Tull (chant et flûte), et plus surprenant,
Joey Tempest d'Europe. L'album a été co-produit by Åkerfeldt et Stefan Boman (
Ghost,
The Hellacopters), enregistré par Stefan Boman, Joe Jones (
Killing Joke,
Robert Plant), et
Opeth. Le mixage a eu lieu aux Atlantis and Hammerthorpe Studios à Stockholm, avec Stefan Boman, Mikael Åkerfeldt et les autres membres d'
Opeth.
"The Last
Will &
Testament" est paru le 22 novembre 2024 chez Moderbolaget/ Reigning
Phoenix Music), et il marque un retour sans équivoque au metal, comme le laissait augurer "§1", un morceau idéal comme premier single, mais aussi pour ouvrir ce disque et poser son ambiance. Succédant à un "
In Cauda Venenum" sachant conter ses histoires de manière lisible et évidente malgré sa richesse, "Last
Will &
Testament" lâche la main de l'auditeur en le laissant se débrouiller dans un univers musical gouverné par l'inattendu, beaucoup plus hostile, complexe et incertain. Malgré le retour de la violence (ce passage explosif de double sur "§3" !) et d'une saturation contrôlée des guitares de Mikael Åkerfeldt et Fredrik Åkesson qui se taillent la part du lion, la mélodie se conjugue avec une large gamme de genres et d'ambiances, avec Joakim Svalberg aux claviers et souvent un arrière plan d'instruments symphoniques enregistrés au Pays de Galles ; la virtuosité technique est bien présente, stimulée par les parties survitaminées du jeune Valtteri, avec en point d'orgue des soli lumineux en diable. Comparativement à d'autres disques, c'est la guitare acoustique qui se fait la plus discrète, mis à part sur "§6", et "§5" où elle est vraiment mise en valeur dans un style andalou/oriental. Ce n'est pas peu dire qu'il faut de nombreuses écoutes pour assimiler cette oeuvre, car il en faut déjà deux ou trois ne serait ce que pour en avoir une vue d'ensemble. La complexité de l'ouvrage est impressionnante, et quand Mikael dit qu'il a voulu composer vite, on se dit qu'il n'a pas la même vision du vite fait bien fait que le commun des mortels.
Opeth a fait ici une grande photo de famille de tout ce qui le caractérise, comme sur l'artwork de Travis Smith, tiens. C'est aussi un mélange entre expérimentations illuminées, flamboyances progressives et des explosions d'un death syncopé et absolument menaçant. Ça part dans tous les sens, avec de nombreux arrêts/redémarrages en rendant fluides les changements de direction les plus improbables, comme ce passage moyen-âgeux à la harpe, qui débouche sur un trip pur prog seventies dans "§4", où danse la flûte d'
Ian Anderson. Ce dernier a laissé sa patte inimitable à la flûte sur "§7", et des spoken words sur plusieurs morceaux de l'album. Connaissant les accointances de Mikael Åkerfeldt avec d'autres éminences créatrices comme
Steven Wilson ou encore
Ihsahn, il était logique d'y trouver des réminiscences, mais j'étais un peu surpris de constater à quel point la porosité d'
Opeth reste grande à leurs univers respectifs: il y a des fantômes sur cet album, et ils en font partie...
Les compositions semblent aux premiers abords découpées, décousues-recollées au millimètre , formant un grand patchwork bariolé de huit pièces, brodées de simples numéros de paragraphes. Il y a une histoire à raconter, Mikaël l'a bien dit, donc autant le prendre au mot, avec les lyrics en anglais dans le texte, et l'écouter religieusement pour tenter d'en saisir la totalité. Et avec la lecture se débloque un niveau de compréhension profonde de l'opus, avec les voix multiples de son protagoniste principal, le décédé, et l'évocation des membres de sa famille au fur et à mesure des paragraphes. Griefs tenaces, rancœurs oubliées, élans de tendresse se succèdent dans un jeu schizophrénique... Celui de l'âme qui se sépare du corps putréfié, et vient silencieusement réclamer son dû à ses descendants ?Enrichi du sens de son histoire funèbre, la redécouverte m'a dressé les poils, et les différentes voix deviennent des personnages à part entière, victimes veules, rejetons expiatoires d'un disque théâtral et cinématique.
Mikael Åkerfeldt a eu beau vouloir reléguer son growl au passé révolu, à l'imparfait, chaque fois qu'il envoie du guttural sur cet album, ça prend aux tripes et il est évident que cela fait partie intégrante de l'âme d'
Opeth... Et dieu sait que cela a manqué ! Son growl est plus profond que jamais, rendu dans ses moindres détails grâce à la production parfaite (on entendrait une gouttelette de bile percuter en dolby surround la glotte du bon Michael). C'est leur premier album avec leur nouveau et jeune batteur Waltteri Väyrynen, et il apporte une énergie débordante aux compositions, particulièrement avec sa finesse, ses fills explosifs, son jeu de double hautement technique et sa caisse claire violemment frappante. A la basse, Martin Mendez fait des merveilles au doigts, en se fondant à moitié dans le décor des guitares.
Le disque ne compte que huit titres aux longueurs assez raisonnables, et si les six premières pistes sont, avec le temps, passionnantes à écouter, les deux derniers titres baissent un peu d'intensité, terminant cet album en douceur sur "A Story
Never Told", comme une ballade , une fin ouverte en quelque sorte, musicalement. Deux autres chansons ont été enregistrées, sans qu'on sache si elles sortiront un jour; contrairement aux habitudes, ce disque-ci ne comportera pas de bonus, si ce n'est un documentaire de 52 minutes en Blu-ray sur certaines éditions. Dommage, dans le lot, il y a une reprise du mythique et lapidaire"You
Suffer" de
Napalm Death !
Plus qu'un retour aux sources, c'est une renaissance d'
Opeth, enrichi de sa période seventies, qui aurait très bien pu avorter puisque Åkerfeldt lui-même admet ne pas avoir été emballé par sa première mouture de "§1", où il se sentait qu'il se "forçait un peu ", avant de trouver la solution après avoir avancé sur d'autres titres.
Plus que jamais, ce quatorzième disque demandera à l'auditeur d'y investir de l'attention, de la persévérance, de chercher à lire et à comprendre, et se laisser gagner par une empathie pour ces acteurs d'une pièce funèbre glaçante et néanmoins tellement jouissive. Que la récompense est belle, à la recherche du temps retrouvé !
Quelle belle chronique, merci !! Un album complexe, je te rejoins sur la nécessité des nombreuses écoutes. Rien qui ne va réellement rentrer dans la tête, et l'image du patchwork est très juste, ça part dans tous les sens avant que l'on ne puisse appréhender en profondeur cette nouvelle oeuvre. Je commence à beaucoup l'apprécier, en revanche je suis un peu plus modéré quant au mix, qui persiste dans ce côté seventies cher au compositeur, mais qui à mon sens empêche parfois une certaine profondeursonore, notamment pour les cymbales que je trouve...vraiment pas ouf, ce qui est dommage au vu de la subtilité du p'tit nouveau aux fûts.
Pour la production, je trouve qu'elle colle bien avec le sépia début XXeme siècle qui imprègne l'ambiance. La batterie au son assez austère est bien dans ce genre là, sans commune mesure avec le son de batterie quasiment en mono qu'Ihsahn s'était imposé à une époque...
Enfin, je vais aller l'acheter dès que je peux, cadeau de Noël !
Il est sur ma liste de Noël aussi !! Dommage que je n'aie pas de lecteur blue-ray, la version collector semble bien chouette...
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