Il y a parfois des hommes tellement impliqués dans une démarche créative et artistique que cette dernière devient inconcevable dès lors où l’un de ses principaux moteurs ne ferait plus partie de l’aventure.
C’est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de musique, et qu’un membre emblématique d’une entité précise quitte le navire pour diverses raisons. On se souvient, toutes époques confondues, des départs d’
Ozzy Osbourne (ou plutôt du limogeage) dans
Black Sabbath, de celui de
Bruce Dickinson ou Rob
Halford dans Iron Maiden et
Judas Priest ou plus récemment de
Tarja Turunen dans
Nightwish ou de l’excentrique
Timo Tolkki à la tête de
Stratovarius. Dans la plupart des cas, s’ils n’étaient pas forcément les compositeurs principaux, ils étaient à la tête de ces combos, ils les représentaient et les portaient dans l’esprit du public et leur départ signe une réelle cassure, une mort symbolique dans le cœur et l’âme de l’entité.
Lorsque Roy Khan annonça son départ de
Kamelot, le cataclysme fut égal à celui du départ de
Tarja dans
Nightwish auprès de la scène power actuelle. Comment un groupe, singulier en grande partie grâce au caractère absolument unique de son vocaliste, pourrait perdurer dans une voie similaire avec un autre chanteur à sa tête ? Comment cette patte que l’on appelait « romantique », cette vision pleine de sensibilité et de puissance (sans exceller dans la technique) pourrait-elle survivre avec un nouvel arrivant ?
Lorsque le nom de Tommy Karevik fut annoncé, hormis les fans de prog plus confidentiel (en l’occurrence
Seventh Wonder), le public fut dans l’expectative. A l’écoute de sa voix, le style semblait tout de même bien différent, plus traditionnel dirions-nous, et ce n’était pas l’action d’avoir demandé à Fabio Lione de dépanner le groupe ponctuellement qui était en soi rassurant tant le génial Italien s’acclimatait difficilement au son de
Kamelot.
Puis vinrent les premiers concerts et on comprit rapidement que Thomas Youngblood n’avait pas choisi Tommy par hasard.
Outre certaines similitudes physiques (la carrure et la coupe de cheveux notamment), il fut au début troublant de l’entendre tant on avait la sensation d’entendre Roy, son esprit ressuscité dans le corps de Tommy, ce dernier allant même jusqu’à reprendre certaines poses du Norvégien (la façon de s’accroupir sur les retours par exemple). La réponse serait donnée sur l’album : réincarnation sans âme ni prise de risques ou véritable personnalité propre ?
"
Silverthorn" est finalement un mélange de ces deux points, gardant le son et le style
Kamelot inchangé et présentant son nouveau chanteur de façon très contrastée et logique, sans marquer de réelle scission entre "
Poetry for the Poisoned" et "
Silverthorn". Le groupe a également la « chance » que l’opus précédent ait été reçu comme une légère déception après les œuvres matures et d’une finesse incroyable que furent "
The Black Halo" et "
Ghost Opera". Ainsi, "
Silverthorn" revient avec une inspiration et un souffle nouveau, comme porté par ce nouveau membre ayant insufflé une nouvelle énergie à
Kamelot.
De l’artwork au concept en passant par la sublime édition limitée (comportant un artbook retraçant le concept, un deuxième disque, un poster et le digibook de l’album, on peut dire que SPV a bien fait les choses, et à petit prix), le groupe est fier de son disque et nous le montre. Et dès "Manus Dei", c’est un
Kamelot très symphonique et grandiloquent que nous retrouvons, visiblement moins sombre et ésotérique que sur le dernier album. "Sacrimony (
Angel of
Afterlife)" déboule dans la veine typique des morceaux introducteurs du combo. Un tempo rapide, un refrain marquant et un invité jouant sur les contrastes. Clairement, les tics vocaux de Tommy se rapprochent de Roy, sa voix s’immisce complètement dans le paysage sonore du groupe et quelques intonations plus hargneuses marquent sa différence mais sur le refrain, on en viendrait à douter de la réelle identité du chanteur. Est-ce lui qui s’est fondu très vite dans le moule ou alors simule-t-il sa voix ? Difficile à dire. Toujours est-il que le refrain est une véritable tuerie et que dire de l’apparition d’Alissa White-Gluz (
The Agonist) qui pose son timbre démoniaque comme Bjorn
Strid ou Shagrath l’avaient fait avant elle ? De plus, on évolue sur une percée très impressionnante de cuivres et un break en soi sombre et puissant. Une double confrontation de guitare/claviers s’enchaîne ensuite pour que Tommy s’emballe sur un final très convaincant.
Et en soi, "
Silverthorn", ensuite, ne déçoit que très rarement et ne souffre jamais du manque de souffle et de variété de son prédécesseur, en étant à la fois plus cohérent et fort dans ses compositions. La production, toujours signée par Sascha Paeth, est très proche des précédents efforts et porte la marque de
Kamelot à chaque instant (même si on aimerait toujours que la batterie de Casey Grillo soit moins ronde et plus percutante). Le plus sombre et syncopé "
Ashes to
Ashes" évoque le terrible "The
Human Stain" en posant un refrain imparable et surtout le feeling tout en émotion de Tommy à qui, pour un premier album de cette envergure, on pardonnera de ne pas complètement se lâcher et de rester encore cantonné à un style que l’on attend de lui. On peut, dans cette optique, penser aux débuts d’Edu Falashi dans
Angra qui, avec "
Rebirth", ne faisait que tâter le terrain avant le monstrueux "
Temple of Shadows". D’ailleurs, il suffit d’écouter la véritable perle qu’est "Song for Jolee" pour se rendre compte que lorsque Tommy chante avec ses tripes, il peut proposer sa véritable identité et toucher l’auditeur par sa sincérité et la beauté de sa voix (la ligne vocale de cette ballade vocale n’a rien à voir avec ce qu’en aurait fait Roy s’il l’avait chantée).
De même, on pourra être surpris par le caractère très mélodique, presque sentencieux, du très réussi "My
Confession" ou encore des symphonies grandioses et guerrières du morceau éponyme, véritable bande-son cinématographique dans un genre proche de
Nightwish. Les chœurs sont plus impressionnants que jamais tandis que les riffs débitent de manière monolithique un rythme syncopé et tranchant. Tommy y est parfait dans ses multiples lignes vocales, démontrant toute sa versatilité, tandis que le break avec la chorale d’enfants n’est pas sans rappeler celui de "Rest Calm" sur "Imaginaerum" de vous-savez-qui. Il ne faut également pas oublier le long et ténébreux "Prodigal Son", divisé en quatre parties, mais restant très lent et solennel tout le long du morceau, conservant une aura mystique et religieuse sur l’intégralité de la composition. Les soli y sont poignants d’émotion.
"
Silverthorn", sans prendre complètement de risques, rassure et prouve toute la bonne santé du groupe de Thomas Youngblood, désormais mentor exclusif du combo. Le cas de Tommy Karevik rassurera les fans qui pensaient que le départ de Roy serait irréparable par la ressemblance de registre tandis que ceux qui plaideront que le jeune Suédois ne chante pas honnêtement pourront se retourner sur des passages où ce dernier dévoile sa véritable personnalité. Ce dixième album est un opus de transition, et il est souvent de ceux qui annoncent un chef-d’œuvre (les successeurs de "
Polaris", "
Dark Passion Play" ou "
Rebirth" ne furent-ils pas des œuvres mémorables ?) à venir. Le groupe va grandir avec ce nouveau line-up, disposant d’un opus suffisamment fort pour ne pas être oublié et d’un potentiel qui fera que nous les attendront réellement au tournant la prochaine fois, l’indulgence avec laquelle nous pouvons recevoir ce "
Silverthorn" n’étant désormais plus. La balle sera entre leurs mains…le jugement entre les nôtres.
L'écoute de cet album excellent (issime?) les fait remonter dans mon estime, pas sûr que j'achète d'autres albums car pas le temps et l'argent, mais content de la surprise.
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