Evoken, c’est en premier lieu le deuxième titre de Fhtagn-Nagh
Yog-
Sothoth, démo cultissime sortie en 91 de
Thergothon, groupe fondateur du funeral doom, et c’est ensuite seulement le patronyme d’un combo américain qui se forme un an plus tard. Lorsque l’on sait ça, on comprend mieux la direction musicale du groupe de Jersey City : un doom death à tendances funéraires lourd et sépulcral aux ambiances hypnotiques.
Evoken n’est d’ailleurs plus à présenter aux amateurs du genre, étant considéré à juste titre comme l’un des premiers et des meilleurs représentant de ce style si particulier. Le dernier album de la formation,
Atra Mors, date de
2012, et présentait une musique plus lumineuse et aérienne, mêlant la lourdeur catatonique à quelques pâles rayons d’espoir.
Hypnagogia, sixième full length de la formation, continue sur cette lancée, sans pour autant tourner définitivement le dos à l'influence plus death des débuts qui a bâtie sa réputation de fossoyeur. Imaginez une pluie fine et froide, qui tombe inlassablement d’un ciel délavé et gris, et dont les millions de gouttes vous enveloppent peu à peu dans un nuage d’eau, vous trempant cruellement jusqu’aux os. Tandis qu’une aube poussiéreuse se lève, vous êtes seuls, marchant dans des plaines sans fin à la végétation morte et aux troncs calcinés, un pas devant l’autre, sans même savoir où vous allez, automate impuissant devant l’immensité grondante des nues désolées. Puis la terre se met à gronder, et le sol vibre et se craquelle sous vos pieds, un peu comme le lent réveil d’un géant endormi pendant des millénaires, livrant à votre regard terrifié ses entrailles béantes : toute la vie s’est éteinte à la surface, vous êtes le dernier survivant, et Gaïa vous invite à plonger dans son sein protecteur, à des kilomètres sous terre, tout au fond, afin de pouvoir poursuivre votre existence loin du fracas et des turpitudes d’une vie passée, là en dessous, dans une obscurité calme et silencieuse, seul, définitivement seul.
C’est justement cette dualité entre les éléments qui est au cœur d’
Hypnagogia, entre cette fine pellicule d’eau qui inonde tout ce qu’elle effleure et ces grondements telluriques majestueux et effrayants. Les rugissements plombés et suffocants du doom death d’antan sont encore là (la lourdeur de The Fear After, ce court passage à 4,40 min de Valorous Consternation, sur lequel surgissent de la torpeur ambiante quelques blasts plus lourds que réellement rapides), mais sont atténués par les plaintes mêlées du clavier et du violon, un peu comme la douleur d’un deuil, toujours présente mais alanguie par le poids des années en une sorte de nostalgie enivrante.
C’est un fait,
Evoken a évolué vers quelque chose de plus éthéré et mélancolique, de plus nuancé dans la palette d’émotions servies, et ces soixante minutes semblent comme enveloppées par cette chape de grisaille et de pluie (Valorous Consternation, la longue intro maussade et mélancolique de The Weald of
Perished Men qui ressemble plus à du Ascension of the Watchers sous valium ou The Fields of
Nephilim qu’au
Evoken qu’on connaît). Une tristesse résignée pèse sur tout l’album, avec ces claviers spectraux (le passage central de Schadenfreude qui ressemble à s’y méprendre à du Shape of
Despair, le court morceau éponyme, entièrement instrumental), les soupirs cafardeux du violon et ces guitares dépressives qui tissent un linceul humide aux relents de terre (le début de Valorous Consternation, Too Feign Ebullience qui rappelle fortement
My Dying Bride par moments), mais, comme sur l’album précédent, l’ensemble est troué par une sorte de pâle lueur indistincte et tremblotante, à l’image des tons gris orangés de la pochette, et qui pourrait s’apparenter à de l’espoir (les mélodies aigres douces de Schadenfreude, qui nous bercent en douceur,
Ceremony of Bleeding).
Hypnagogia est donc un pur album de doom death funéraire, avec cet écho de batterie qui résonne comme la chute d’un empire sous la poussière du temps, ces guitares lentes, ce growl intemporel qui semble nous narrer la décrépitude des siècles et ces parties de chant chuchoté et grave frémissant d’émotion. Ceci dit, la fin de l’album se fait moins tourmentée et plus lumineuse, tranchant un peu avec le reste de la galette, créant un écart d’humeur et un petit manque de cohérence qui l’empêchera d’accéder à l’excellence.
Quoi qu’il en soit,
Evoken signe là encore un très bel album qui, s’il s’éloigne encore un peu plus de son style d’origine et pourra décevoir les fans de la première heure, ravira à coup sûr les auditeurs plus ouverts d’esprit ainsi que tous les amateurs de mélancolie musicale de manière générale. Une belle hypnagogie, qui nous égare quelque part entre quiétude et angoisse, vie et mort, rêves et réalité, et qui nous ouvre les portes d’un au-delà imaginaire, refuge à une existence terrestre devenue toujours plus vaine et hostile.
Ca à l'ai hypnotique à souhait, merci pour la chronique!
acheté aujourdhui.du trés grand evoken.un peu different des debuts mais cela reste du evoken
Fan dès la première écoute, merci.
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