Certaines décisions sont aussi difficiles à prendre qu’à entendre. Ce fut probablement le cas de Robert Westerholt lorsqu’il décida l’année dernière, dix ans après son frère (Martijn, claviériste), de quitter le groupe qu'il fonda lui-même pour des raisons personnelles.
Pas de soucis de santé ici, mais un désir d’assurer une éducation solide et stable à ses trois enfants qu’il partage avec sa femme, chanteuse irremplaçable de
Within Temptation. Le choix fut donc rapidement fait lorsque l’un des deux dut prendre cette difficile décision. Robert sera désormais un homme de l’ombre, composant en studio, travaillant sur les visuels et l’imagerie du groupe, enregistrant également ses parties de guitares (qu’il partage désormais avec Stefan Helleblad en plus de Ruud, son ex ingénieur de son) mais n’apparaitra plus en live (simplement pour de très rares spectacles).
En ce sens, "
Hydra", le sixième album, amorce un nouveau cycle puisque Robert y est bien évidemment toujours crédité mais qu’il ne participe ni à la promotion ni aux clips de lancement. Mais il représente également la suite à l’opus le plus controversé des Bataves, à savoir le très critiqué "
The Unforgiving" qui avait vu les Hollandais partir dans des horizons bien lointains de leur metal symphonique initial, côtoyant plus volontiers la pop électronique que la décadence du sympho. "
The Silent Force", en 2004, avait définitivement marqué
Within Temptation au panthéon du genre, bien que l’on puisse légitimement lui reprocher ses trop grandes sucreries et son aspect si ouvertement grandiose que l’on en oubliait presque où étaient les riffs. "
The Heart of Everything" avait très intelligemment corrigé le tir avec un opus plus sombre et heavy, avec une ambiance symphonique cinématographique et très intense ainsi que des prouesses vocales de la part de la belle qui se muait en jeune fille candide autant qu’en sorcière plus démoniaque. Bref, le tournant brutal de "
The Unforgiving", bien plus easy-listening et mainstream, avait de quoi choquer…
L’arrivée d’"
Hydra" se fait donc à point nommé pour éclaircir les mystères sur l’orientation musicale du groupe, ainsi que le nouveau rôle de gestion de Robert. Et autant dire qu’"
Hydra" porte extrêmement bien son nom puisqu’en dix morceaux, Within évoque clairement différentes facettes bien distinctes les unes des autres de sa carrière. Sans parler d’album best-of, terme souvent péjoratif et symptomatique d’un manque flagrant d’inspiration, "
Hydra" regroupe au contraire les différentes inspirations des Bataves pour, enfin, former un ensemble cohérent sans pour autant offrir des albums aussi monolithiques que ne pouvaient l’être "
The Silent Force", "
The Unforgiving" ou, dans un registre autre, "
Enter". Les Hollandais tentent beaucoup de choses sur ce sixième album studio, souvent avec brio, et même en s’éloignant de leur son originel, parviennent à conserver une identité propre et marquée tout en réussissant le tour de force de se renouveler. Certes, ceux qui attendent un opus démesurément symphonique et poétique seront déçus car "
Hydra" se veut plus direct et accessible mais sans jamais renier qualité et musicalité.
Dès "Let us
Burn", on retrouve le
Within Temptation connu et épique, centré autour d’une forte mélodie et surtout de la voix toujours aussi pure et magnifique de Sharon Den Adel. La mélodie est simple d’accès, la batterie et la basse servent d’une simple assise rythmique mais une poésie latente, une mélancolie subtile parcourt le titre jusqu’à un refrain stratosphérique où Sharon s’envole pour démontrer que sa voix est toujours aussi unique et qu’elle s’embellit même avec le temps, parvenant à allier puissance et justesse technique (et ce refrain risque de faire très mal lors des prochains concerts).
Plus longues, les compositions prennent leur temps et l’intensité augmente progressivement, intensité parfaitement retranscrite par la production d’une pureté et d’une puissance sans égal dans le genre (comme d’habitude finalement depuis "
The Silent Force"). C’est ici un groupe que l’on connait et sûr de sa force qui frappe. Et qui s’apprête à frapper plus fort encore dès "
Dangerous", explorant des contrées plus modernes et métalliques auxquelles le groupe ne s’était plus frotté depuis un certain temps. Les riffs sont plus mordants, tout est basé sur un lead mélodique très fort et power et Sharon partage le chant avec le premier d’une longue liste d’invités, à savoir Howard Jones (ex
Killswitch Engage) qui use de son chant clair pour former un duo détonant. La puissance du titre impressionne quand on le compare au précédent disque et il s’agit d’une nouvelle preuve que le groupe veut varier son propos, diversifier son contenu, et c’est ici fait avec beaucoup de réussite. Le pont avec Howard au chant seul qui forme une boucle pour repartir sur le refrain est, dans sa structure certes simple, mais diablement efficace et utilisé sans tomber dans des schémas trop éculés.
Parler d’"
Hydra" dans sa globalité revient presque à évoquer chacun des titres, tant ils sont différents et forment l’ensemble que représente l’album. Impossible de ne pas traiter d’"
And We Run", où Within s’essaie à inviter un rappeur (Xzibit) mais sur une composition à la structure des plus originales. Effectivement, sur une mélodie débutant au piano pour se poursuivre par un riff de guitare, le refrain voit l’ensemble de l’instrumentation s’arrêter pour laisser la place à une unique symphonie orchestrale, où Sharon fait une fois de plus preuve d’une pureté insolente de beauté…puis partage ce moment de grâce avec "Xzibit" qui, s’il surprend au début, s’intègre finalement parfaitement bien à cette composition atypique.
Within Temptation a eu l’intelligence de ne pas composer un titre rn’b mais au contraire très symphonique pour former un contraste encore plus saisissant, notamment sur le couplet rappé quasi parfait. On pourrait regretter en revanche le refrain où le timbre de Xzibit semble trop plaqué sur la musique sans s’y intégrer, en comparaison du couplet. Cependant, "
And We Run" est une réussite autant dans sa composition que dans le pari d’y intégrer un style aussi antinomique que le rap. A l’inverse, "
Silver Moonlight" retrouve des voies plus extrêmes puisque le groupe y intègre des growls que l’on avait plus entendus depuis des années (depuis "
Enter" en fait si l'on excepte les quelques choeurs sombres de "Our
Solemn Hour"). Sans retomber tout de même dans les débuts doom du combo, ce regain de vigueur et d’agressivité sur le refrain est là aussi une complète réussite, parfaite balance entre Sharon et les hurlements ponctué par un solo incisif et concis comme il faut.
Tarja Turinen est également de la fête sur le premier extrait déjà bien connu "
Paradise (What About us ?)" pour un duo finalement logique mais complètement inédit (rien de moins que les chanteuses les plus en vogue du début des années 2000). "Roses" poursuit sur un tempo plus pop mais avec toujours cette qualité d’écriture omniprésente, notamment dans les lignes vocales puis vient un "Dog Days" dont le refrain est là encore impossible à se défaire tant il est bien fait, avec cette subtile montée en puissance imparable et signe d’une maturité désormais complète.
"The
Whole World Is Watching" ferme la danse, de façon plus intimiste avec Dave Pirner (
Soul Asylum) au chant, dans une ambiance très feutrée et caressante sans jamais être mièvre. Les arrangements de cordes sont d’une grande fluidité, l’instrumentation rock des plus simples mais la magie fait effet jusqu’à la dernière seconde, tel un conte qu’on ne désirerait jamais voir se terminer.
"
Hydra", comme il a déjà été dit, réussit ce pari de mêler les genres et les ambiances avec un talent certain et un brio remarquable. Témoignage d’un groupe n’ayant désormais plus rien à prouver et expérimentant au gré de ses envies, ce nouvel album est une totale réussite et un signal fort après un album jugé par tous décevant et qui se devait d’être succédé par un opus de cet acabit. Le contrat est parfaitement rempli avec cette cuvée 2014 et c’est dès à présent qu’il faudra les attendre sur les planches au printemps prochain.
C'est pas dégueu, le groupe est toujours capable de sortir quelques bonnes chansons, mais celles-ci se perdent dans un flot un peu monotone dans lequel l'inspiration, malgré quelques tentatives audacieuses (genre le rappeur, qui bizarrement s'intègre plutôt bien), commence à se faire rare. Va falloir se ressaisir la prochaine fois, car à ce train-là, même les fans les plus transis de la belle Sharon vont commencer à aller voir ailleurs.
Merci pour la kro :)
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