Clouds. Quel patronyme plus adéquat pour retranscrire la langueur et les humeurs grises et maussades d’un doom death atmospéhrique vaporeux, mélancolique et pluvieux ? Le combo emmené par Daniel Neagoe semble bien l’avoir compris, gagnant ses lettres de noblesses dès son premier album de 2014,
Doliu, qui incarnait déjà la quintessence d’un style plus de vingt ans après son éclosion (en même temps, avec des membres ou ex membres de formations comme Shape of Dispair, Eye of
Solitude,
Pantheist ou
Extreme Cold Winter, pouvait-il vraiment en être autrement ?).
Quoi qu’il en soit, le supergroupe international en est déjà à son sixième album, Despărțire, qui vient nous susurrer aux oreilles huit complaintes à écouter une morne journée d’automne en regardant les feuilles rousses tourbillonner dehors et la pluie s’écraser lourdement sur la vitre.
Dès le titre d’entrée, l’incroyable Deepen This
Wound, on est happé dans l’univers de dépression douce du combo : arpèges flottants et cafardeux, rythme lent, guitares lourdes et grondantes, violons aux plaintes larmoyantes dont les notes fragiles tissent un canevas mélodique tout en sensibilité, sans oublier cette dualité de chants extrêmement expressifs et virtuoses dans leur genre, un growl toujours aussi abyssal, vibrant de résignation et de tristesse ainsi qu’un magnifique chant clair, tout y est, et on retrouve avec un plaisir intact ce subtil mélange de tristesse et de plénitude enivrant qui nous avait enveloppé l’année dernière sur l’intemporel
Durere. Ce premier morceau nous file la chair de poule et nous plonge dans un état d’extase béate que seuls les grands morceaux parviennent à créer, et
Clouds enchaîne de la plus belle des manières avec This
Heart, A Coffin à la ligne de violon chavirante sur laquelle le chant frissonnant de Mick
Moss (
Antimatter) vient nous emplir l’âme de cette torpeur mélancolique.
Le combo britannico roumain est toujours délicieusement tiraillé entre doom funéraire et passages plus atmosphériques, fusionnant idéalement le meilleur de groupes comme Shape of
Despair, Eye of
Solitude,
My Dying Bride ou
The Prophecy, avec des guitares qui orchestrent magnifiquement cette symphonie à la profondeur émotionnelle peu commune, et ces deux premiers morceaux semblent touchés par la grâce, continuité directe des albums précédents qui, pour ma part, sont déjà inscrits au panthéon du style.
Ceci dit, malheureusement, Despărțire ne parviendra pas à conserver cette intensité incroyable jusqu’au bout. Si Your Name in My
Flesh reste globalement très bon et parfaitement ancré dans le style du groupe, ses mélodies se font un peu moins transcendantes, tandis qu’un titre comme In
Both Our Worlds The
Pain Is Real, sur lequel un Aaron Stainthorpe impeccablement dépressif vient apporter ses vocaux, se fait trop linéaire et minimaliste pour réellement nous transporter, sonnant décidément trop comme un titre de
My Dying Bride, certes bon mais en deçà de l’excellence à laquelle
Clouds nous avait habitué. The Door We
Never Opened synthétise plutôt bien le syndrome dont souffre ce sixième album, présentant quelques moments superbes et habités dont une belle montée en puissance où le groupe exprime tout son potentiel émotionnel, mais qui arrive un peu tard, après un début à la délicatesse feutrée et raffinée qui traîne trop en longueur et finit par nous assoupir. Ici, les musiciens reviennent à un style plus dépouillé, avec notamment un clavier bien moins présent qu’auparavant, des lignes de chant clair plus complexes et difficiles à assimiler (le break d’A Place For All Your Tears qui se veut sensible et intimiste mais qui ne parvient pas trop à nous emporter, la faute à une mélodie vocale manquant de spontanéité) et des arrangements un peu laissés de côté lorsque, sur les albums précédents, ils nous entraînaient à travers leurs notes magiques et sacrées dans un état de transe (rappelez-vous l’intro de In
The Ocean of My Tears ou de la magnifique fin atmosphérique de I Gave My
Heart Away).
Pour conclure, Despărțire est certes un très bon album, mais il est loin d’être la meilleure réalisation de
Clouds, souffrant parfois d’un petit manque de dynamisme (c’est comique pour du doom dépressif, hein ?) et d’intensité par rapport à ses sublimes prédécesseurs.
Quand les nuages se dissipent, on voit le soleil, et ce sont finalement peut-être ces quelques timides rayons qui parviennent ici à percer la noirceur orageuse de ces cumulus gonflés de larmes et de tristesse. Si cette pâle éclaircie vous convient et que vous voulez évoluer dans les strates d’un doom un peu plus léger et aérien, ce nouvel opus est définitivement fait pour vous (See the Sky With
Blind Eyes, longue balade acoustique placide qui clôt l’album) ; en revanche, si vous voulez continuer à vous enfoncer toujours plus profondément dans les affres d’une dépression sans fin, il vous reste toujours les premiers albums du groupe… Quoi qu’il en soit, et quelles que soit vos aspirations musicales, les averses de
Clouds sont toujours salvatrices, ondées d’émotions brutes et pures qui viennent nous laver l’âme de ses émotions négatives en une troublante catharsis, alors ne craignez plus l’orage et laissez ses gouttes vous purifier et vous offrir une renaissance spirituelle…
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