Un ixième groupe à chanteuse sur une scène metal qui en compte déjà tant, me direz-vous ? Votre humble serviteur vous concédera ce constat, à un détail près. Rares sont les vertes formations de metal progressif à chant féminin à émerger d'une terre russe pourtant fertile en groupes metal de tous poils. Parmi elles, on voit poindre les gammes effilées d'un jeune quartet ayant joué la carte de la sécurité à l'aune de cet EP éponyme, celui-ci initialisant un projet pressenti à long terme. Ainsi, le long d'une dynamique mouture de près de vingt-quatre minutes, cinq pièces atmosphériquement souriantes s'enchaînent prestement, dont une brève instrumentale, à considérer comme une petite mise en bouche. Aussi, que nous offre de plus cet album qui aurait pu nous échapper jusqu'alors ?
Avant toute chose, faisons les présentations avec nos fringants moscovites. Dans le petit escadron, on y trouve : Aleksandra Radosavljevic (ex-
Destiny Potato), au chant ; Alex Smirnov (
Kartikeya, Nevid), à la batterie ; Roman «
Arsafes » Iskorostenskiy (
Kartikeya), à la guitare, à la programmation et aux choeurs ; Aleksander Miroshnichenko (
Kartikeya), à la guitare. Pour l'occasion, sur certains titres, le combo a fait appel aux talents d'invités tels que : Adam « Nolly » Getgood, bassiste du groupe de metal progressif américain
Periphery ; Jakub Zytecki, guitariste du groupe de metal progressif polonais
Disperse et Aleksandra Djelmas, chanteuse et claviériste du groupe de metal progressif serbe
Destiny Potato. Forte de cette distribution autant que de ses compositions ayant fait l'objet d'une observation toute particulière sur la partie technique, notre troupe nous embarque dans une atmosphère mélodiquement enjouée et aux arpèges sereins, parce que minutieusement élaborés, le long d'un cheminement harmonique assez impactant.
Sur le plan logistique, la phase d'enregistrement ainsi que l'ingénierie du son n'ont souffert ni de sonorités parasites, ni de distorsions de fond et les enchaînements inter pistes s'avèrent plutôt sereins, ces dernières étant bien coordonnées entre elles. En revanche, et c'est là que le bât blesse, le mixage aurait pu davantage sur-mixer les lignes de chant pour éviter les effets de surpression de l'instrumentation ainsi générés. Quant aux finitions, elles seraient encore prises dans leur jus, non sans renvoyer à une jeunesse de production encore difficile à esquiver. Mais, le mal est partiellement contrecarré par des arrangements de bonne facture.
Pour ne pas gêner l'analyse, nous passerons rapidement sur l'entame, « Intro / Unmasked », titre instrumental lapidaire d'où des nappes synthétiques naissantes nous propulsent vers une orchestration à l'échelonnement progressif. Ainsi, le combo montre déjà les dents sur quelques frappes cinglantes.
Pas de doute, le message est reçu, Nous allons donc déambuler dans une oeuvre metal progressif mélodique à tendance symphonique, aux sinuosités mélodiques d'inspiration pop-rock de bon aloi. Deux types d'empreinte rythmique nous sont proposés, chacun ayant ses mérites, sans jamais nous faire perdre le fil progressif imprimé à l'ensemble de ces plages.
L'exercice semble convaincant à l'instar d'une frappe coulée sur les fûts. Quand la rythmique se fait mesurée, le cheminement progressif se renforce d'autant plus. On le constate notamment sur « Trapeze ». Des riffs graveleux et une section rythmique en mid tempo dessinent le parterre d'une piste aux couplets finement sculptés, sous-mixant néanmoins les claires infiltrations vocales de la sirène par rapport au champ instrumental. Les refrains, pour leur part, se montrent incitatifs à l'adhésion, dans l'esprit de
One Without. On remarquera un habile solo de guitare traversant un pont à l'orchestration grassouillette, signé Jakub Zytecki. Et ce, avant que les caressantes modulations orales de la belle ne nous attirent le tympan, précisément au moment où la progressivité du champ instrumental se cale, pour finir crescendo. Une dégressivité de la densité sonore survient alors spontanément pour durer quelques secondes. Mais, le groupe a encore un atout dans son jeu. Ainsi, une rythmique syncopée nous est servie sur la fresque en mid tempo « All Our Dreams », là où précisément la jeune interprète nous enlace de ses angéliques vibes, sur les couplets comme sur les refrains. Assistée à la fois par quelques sulfureux arpèges à la lead guitare et un fin toucher de basse octroyé par Adam « Nolly » Getgood, elle suit une ligne mélodique racée et savoureuse, sans mièvrerie pour autant. En outre, un beau solo de guitare s'inscrit avec un délié très rigoureux avant que de célestes incantations ne nous parviennent et que ne nous explose au tympan le refrain, moment lévitant qu'on se plaît à ne pas lâcher d'un pouce. Une rupture brutale clôt toutefois le chapitre, témoignant d'un souci de finition sur un morceau qui aurait gagné à s'en abstraire.
Par ailleurs, le propos musical se révèle non moins accrocheur lorsque le combo avive la flamme de ses rythmiques. Le frondeur « You » en atteste déjà. Celui-ci traverse un terrain miné par des riffs écorchés vif agrippant une rythmique affriolante, le long d'une ligne mélodique nuancée. On appréciera les reprises en refrain se détachant des couplets, à la manière de
The Flaw. Un break opportun apaise l'embrasement général avant que la batterie ne se fasse assassine et les riffs plus corrosifs que prévu, précédant de justesse les fondantes ondulations de la déesse, elle-même rejointe par des growls acariâtres, pas du meilleur effet à cet instant précis. Mais, le groupe s'en sort sans trop de mal sur cette piste, tout comme sur sa voisine. Ainsi, une lead guitare arrimée à un martelant tapping nous assaille, avant que la rythmique devienne plus retenue mais plombante sur «
Eden ». En outre, les contrastes sont marquée entre une brutale empreinte instrumentale et les douceurs ondulatoires du filet de voix aérien de la belle, que la bête a du mal à quitter du micro. Des riffs frétillants s'accouplent à cette cavalcade de notes distillées par le lead guitariste sur un bref break, précédant une jolie reprise vocale sur le refrain, le tout finissant crescendo.
On ressort de ce périple avec le sentiment de découvrir un groupe qui affiche une belle détermination et une pointe de professionnalisme, eu égard au jeune âge de ses membres. Les harmonies révèlent toute leur saveur au fil des écoutes, le groupe jouant la carte des subtilités d'accords au détriment de lignes mélodiques trop aisément accessibles. Du coup, le pavillon suit avec intérêt le message artistique proposé, sans décrocher, avec même l'envie d'y revenir, selon les goûts stylistiques et les aspirations mélodiques de l'auditeur. Un savant dosage entre des séries de notes à la technicité éprouvée et des arpèges finement sculptés témoigne ainsi d'un désir de pénétrer la scène metal avec tact et humilité. Ce qui est la marque indélébile d'une volonté tacite d'inscrire ses signes distinctifs dans l'espace et dans le temps.
Cet EP s'adresse avant tout aux amateurs de metal progressif à chant féminin, mais pas seulement. En effet, un public orienté metal mélodique, atmosphérique ou symphonique peut aisément se reconnaître dans leurs partitions. Si la capacité d'attraction d'un auditorat élargi est réelle, le groupe devra encore veiller à affiner les divers aspects de la production pour nous impacter un peu plus. Au regard d'une attention particulière accordée à ses petites erreurs de jeunesse, il aura des chances de nous stimuler davantage, voire de nous encenser, notamment à l'instar d'un album full length. Affaire à suivre, donc...
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