Evolution. Mouvement. Apogée. Paroxysme.
Évoquer le déplacement, l’instabilité et, de ce fait, le refus de la stagnation, est comme l’aveu d’un artiste cherchant constamment à innover, à vivre, à évoluer afin de muer en une créature toujours plus mature, mure et adulte, se rapprochant de sa forme archétypale et définitive. Dans ce contexte, les considérations du passé sont vaines, tant la bête rejette impartialement ce qui fut accompli avant pour se focaliser uniquement sur un avenir restant à graver. La créature rode, attend son heure…il semblerait qu’il soit désormais temps…les expérimentations sont arrivées à leur terme, le temps des balbutiements n’est plus, la mue est terminée. Acéré et assoiffé, le prédateur est plus déterminé que jamais.
"
The Eye of Needle" était apparu comme le commencement encore imparfait, mais terriblement novateur et viscéral, du futur et de la métamorphose de
Klone, qui n’emprunterait définitivement plus les chemins d’un death atmosphérique et progressif qu’on lui a tant vanté après la sortie d’"
All Seeing Eye". Un an après ce ep qui prend désormais la forme d’un virage sans équivoque,
Klone s’apprête à envahir le monde avec un album qui risque de laisser clairement des traces auprès d’auditeurs qui ne s’attendaient sans doute pas à ça.
Le temps des expérimentations abusives est loin derrière, celui de la quête du style également…
Klone n’est désormais personne d’autre que lui, une entité propre et personnelle, au son unique et à la personnalité individuelle. Embrasant de multiples influences, allant du grunge des années 90 au rock progressif des 70s en passant par le prog ou la musique alternative plus récentes de
Tool ou encore
A Perfect Circle. Mais, loin d’imiter ou de plagier ces influences parfaitement intégrées avec le temps, les poitevins en tirent la quintessence pour livrer une musique unique, viscérale, planante et écorchée, au rapport constamment humain et à l’émotion toujours palpable, celle de musiciens passionnés et vivant pour leur art, loin des groupes de bas étages jouant un style par intérêt ou pour une quelconque reconnaissance.
Cette personnalité si unique,
Klone la doit également désormais en grande partie à Yann Ligner, auteur d’une performance vocale à couper le souffle sur ce cinquième album prénommé "The
Dreamer’s Hideaway". Vivant ses textes, véritablement possédé par ses mots, s’intégrant à la perfection dans une musique plus sombre et brute, s’étant débarrassée du superflu pour toucher directement sa cible. Viscéral et incroyablement humain, Yann a presque complètement abandonné son penchant death pour se tourner vers une tonalité naturelle, qu’il maitrise parfaitement, entre douceur et brutalité, pour ne jamais sombrer dans un quelconque manichéisme vocal.
Grand investigateur de cette réussite complète,
Klone est pourtant un groupe soudé, que le départ de son second guitariste Mika, n’aura pas perturbé pour la conception de ce nouveau chef d’œuvre. Débutant par ce que l’on peut d’ores et déjà nommer comme ses trois meilleurs morceaux, "The
Dreamer’s Hideaway" décolle de manière stratosphérique avec successivement "Rocket
Smoke", le morceau éponyme et l’incroyable "Into the
Void".
Très rock dans son approche, tout en se complexifiant progressivement, "Rocket
Smoke" est une petite merveille qui permet de mettre en exergue le magnifique travail rythmique que Florent Marcadet a réalisé derrière ses futs. Un riff simple mais se décantant au fur et à mesure, prend de la puissance dans le temps en même temps que Yann explose sur un refrain catchy et s’assimilant très rapidement, parfaitement chanté de ce timbre rocailleux usant d’un vibrato maitrisé de bout en bout. C’est alors que, surgissant de nulle part, un break assassin et très technique s’abat, laissant se déchainer Florent à la batterie et les riffs de Guillaume Bernard s’épaissir jusqu’à en devenir un véritable mur de son compacte mais pourtant d’une densité incroyable. Les sonorités étranges si chères à
Klone refont alors surface (le boulot de Matthieu Metzger aux claviers et au saxophone est également à mettre en lumière), preuve que l’âme du groupe est plus que jamais présente. Yann s’envole littéralement sur ce final, agressif sans pour autant être violent…une merveille caché entre plénitude et colère.
Le morceau éponyme surgit dès lors avec un riff plombé et une ligne de basse très en avant. Une fois encore, la tonalité alternative est présente, les guitares se font sifflantes et Yann chante de manière écorchée, blessée mais pourtant si belle et vraie. Le break à la guitare acoustique est une porte merveilleuse vers la mélancolie de nos souvenirs, le précipice de nos actions passées…les lignes vocales sont à nues, superbes et à fleur de peau. Le saxophone surgit, intriguant et ombre abstraite tel un esprit vivotant entre passé et présent…la musique se fait de plus en plus atmosphérique jusqu’à cette dernière envolée belle à pleurer…avant "Into the
Void".
Peut-être le meilleur morceau que
Klone n’ait jamais composé, il débute lentement pour exploser sur le chant puissant et viril de Yann, ponctué d’éruptions volcaniques de riffs. Une fois de plus, le travail tout en finesse et en intelligence de Florent est à souligner (ce jeu de cymbales et de toms est juste remarquable). Les couplets montent doucement en puissance, se faisant de plus en plus intenses et viscéraux, dans la lignée d’un
Karnivool, avant que Matthieu de se livre à des expérimentations sonores qu’
Arjen Lucassen ne renierait pas, sortant des sons spatiaux incroyables et s’imbriquant merveilleusement dans cet ensemble harmonique.
Évidemment, "The
Dreamer’s Hideaway" n’est, et ne devra, pas se résumer à ces trois perles ultimes, mais débuter de cette manière, est en soi un exploit qu’il sera à l’avenir très difficile de dépasser. Mais il sera impossible de passer sous silence le robuste et redoutable "
Rising", où Yann retrouve sa rage passée presque death metal, tandis que le saxophone s’y fait plus fou et déstabilis(é)(ant) que jamais. "
Siren’s Song" permet de continuer la plongée dans ce monde si attirant et familier que nous dépeint le groupe. "Statum", instrumental de deux minutes, nous plongera dans un univers glacial et maladif, ambiant et bruitiste pas si éloigné du monde de
Silent Hill…avant le long "Walking on
Clouds", revenant aux horizons de "
The Eye of Needle", mais dans une optique plus sombre et désespéré, les samples opérant comme des sons lointains et difficiles à cerner. L’isolement semble y être plus important, l’atmosphère presque claustrophobique. Quant à "A Finder Snaps", on ressent fortement le grunge dont Guillaume est un grand fan, particulièrement
Pearl Jam, dans cette volonté plus directe et rock n’roll de composer. Dug Pinnick (
King’s X) vient d’ailleurs épauler Yann sur ce titre.
Inutile d’ajouter, pour ceux qui en douteraient, que la production ne souffre pas de l’ombre d’une imperfection. Très puissante, extrêmement organique et chaude, elle est l’élément incantateur de la musique de
Klone, ce qui lui permet de s’incarner tel que nous le connaissons, Franck Hueso ayant désormais compris dans ses moindres détails la personnalité complexe et androgyne des poitevins.
Klone vient de frapper très fort avec "The
Dreamer’s Hideaway" qui, n’en doutons pas, marquera tout d’abord la fin de l’année
2012 de son empreinte et (s’il existe, la fin est proche) le futur du combo. A la fois personnel, unique, sincère et humain, l’album est une ode à la créativité, à la franchise dans la composition et la sincérité dans l’interprétation. Le groupe s’investit corps et âme dans un album qui, lorsqu’il nous pénètre, semble rappeler en nous des éléments de nos existences, des chapitres importants, tristes. Épisodes mélancoliques que
Klone est parvenu à réveiller avec son art, ils sont la clé de voute d’une compréhension d’un album aussi complexe qu’il n’est simple d’accès.
La grande porte s’ouvre désormais face à eux…plus rien ne les retient.
Klone est grand. Infiniment grand.
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