Bien que dans l’ombre du géant brésilien, le Chili reste une terre fertile en matière de metal extrême : outre les précurseurs que sont
Pentagram,
Massacre,
Atomic Aggressor ou
Torturer, des groupes comme
Nuclear,
Ripper, Unaussprechlischen Kulten,
Temple Below ou
Demoniac n’ont rien à envier aux cadors des scènes américaine ou européenne. C’est d’ailleurs de ce pays qu’est venue l’éclipse qui, le 3 septembre 2020, a plongé le monde dans les ténèbres durant 46 minutes : Xalpen, duo maudit de black metal occulte, sortait son premier album, Sawken Xo’on (ou Trois Chamanes en français).
Black Lodge Records a eu la bonne idée de rééditer cette sortie passée injustement inaperçue l’année dernière, et c’est une nouvelle version remasterisée aux Redmount Studios par
Magnus Lindberg (
Alcest, Cult of
Luna, Dool et
Refused entre autres) qui vient aujourd’hui nous ravager les oreilles.
Sournoisement amené par quelques notes ambiants et ritualistes, l’effroyable
Devourer of Light surgit soudainement et nous renverse sans crier gare, éclatant comme une éruption de haine inextinguible : black noir, primitif et blasphématoire aux relents de death, ce premier morceau de 4,44 minutes engloutit définitivement les dernières traces de lumière et d’espoir d’un monde à l’agonie, dégueulant un abominable coulis qui nous englue dans ses miasmes mortifères.
L’ensemble est terriblement compact, rythmé par une batterie lourde et rapide et une basse vibrante aux échos malades, et au milieu de ce chaos grondant émergent des riffs d’anthracite dont les mélodies vénéneuses nous souillent l’âme.
1340 nous envoûte alors de manière un peu plus subtile, éjaculant un riffing maléfique dont les fulgurances mélodiques à la finlandaise nous envoûtent et nous enfoncent plus profondément dans les entrailles de la terre. Le chant est parfait pour le style, sorte d’aboiement infernal puissant et arraché aux inflexions autoritaires, tandis que la batterie termine le travail de sape, alternant blasts et roulements pour imposer un rythme régulier et rapide qui nous lobotomise.
On constate d’ailleurs qu’au fur et à mesure que l’album avance, la musique se fait plus mélodique, jouant volontiers sur des parties de guitares ensorcelantes à la
Sargeist. Au fil des compos donc, l’air se fait moins étouffant, le riffing moins épais, et l’asphyxie du premier titre s’estompe, nous laissant une vague sensation d’étourdissement : on continue notre avancée à tâtons dans les ténèbres, mais de manière plus sereine, nos sens affolés désormais adaptés à cette hideuse obscurité dont les recoins les plus sombres nous attirent irrémédiablement et nous poussent à continuer notre progression, toujours plus loin, toujours plus bas. Un morceau comme
Dark Nights of
Winter pue d’ailleurs la propagande maléfique, avec son rythme entraînant et binaire très marqué et son refrain scandé encore et encore comme une prière impie par un prêtre complètement exalté, et que dire de For Those Who Have Departed dont le riff limpide et démoniaque nous possède d’entrée : c’est un fait, au bout de quelques morceaux, le duo chilien nous a déjà complètement possédé et sans même en avoir conscience, car notre âme ne nous appartient déjà plus, nous voilà prêts à servir Sa volonté.
Afin de gagner encore en lourdeur et en agression, Xalten n’hésite pas à se fendre de quelques passages death (la charge destructrice de
Devourer of Light, le break à 2,10 min de For Those Who Have Departed, la fin de
Dark Nights of
Winter, massive et saccadée, le matraquage qui démarre Tres Chamanes), et on peut retrouver un peu d’
Archgoat ou de
Teitanblood dans ces explosions de fureur ou, au contraitre, ces ralentissements poisseux et régressifs, ceci dit, la musique d’Alvaro Lillo et Juan Pablo Nuñez ne se fait jamais aussi hermétique que celle de cette scène black death bestial, notamment grâce à un riffing intelligible et mélodique et à un traitement sonore plus puissant, clair et moins étouffé que sur la version d'origine, et a fortiori ces combos à la musique et à la production volontairement repoussantes.
Sawken Xo’on se termine sur un Formidable Fumes of
Hell-
Fire mid tempo rampant et incantatoire de 9,26 minutes à la quatre cordes vibrante, fin d’une descente éprouvante et fascinante au cœur des entrailles fumantes de la terre et de nos propres angoisses.
Voilà un excellent album de black metal noir, intense et complètement possédé qui séduira à coup sûr les amateurs de groupes comme
Sargeist,
Behexen,
Funeral Mist et autres Ascension, et si vous êtes prêts à voyager à l’intérieur de vous-mêmes, ces trois chamans pourraient être de précieux guides spirituels. Prenez garde toutefois à baliser le chemin du retour afin de ne pas vous perdre à jamais dans l’opacité de vos propres ténèbres…
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